Margaret Keane (1927-2022) est l’une des artistes américaines les plus populaires du XXe siècle, connue pour ses portraits aux « Big Eyes », ces visages d’enfants aux yeux immenses qui ont marqué la culture visuelle des années 1960. Derrière ce succès se cache une histoire d’usurpation : pendant plus de dix ans, son mari Walter a signé ses tableaux et récolté la gloire à sa place. Ce n’est qu’au début des années 1970, alors qu’elle a déjà franchi le cap des 50 ans, que Margaret engage un procès retentissant pour faire reconnaître son œuvre. Son parcours est riche de leçons pour toutes les femmes qui doutent de ce qu’elles peuvent encore accomplir après 50 ans.
- Reprendre le pouvoir sur son histoire
Pendant les années 1960, Walter Keane vend ses toiles comme si elles étaient les siennes. Margaret vit dans l’ombre, réduite au silence. En 1970, elle l’assigne en justice. Pour trancher, le juge exige que chacun peigne un tableau en direct : Walter refuse, Margaret réalise en une heure une toile caractéristique de ses « Big Eyes ». Elle gagne son procès. « J’étais dans ce piège, et je m’enfonçais de plus en plus. », expliquait-elle au Guardian en 2014.
- Créer contre vents et marées
Si le public plébiscitait ses toiles, les critiques les jugeaient « kitsch » ou « mièvres ». Ce décalage n’a pourtant pas détourné Margaret Keane de son travail. Elle a continué à peindre avec régularité, convaincue que la valeur de son œuvre ne dépendait pas du verdict des experts. Sa trajectoire rappelle que, face aux jugements extérieurs et aux étiquettes d’« hors d’âge », la persévérance reste la meilleure réponse. « Je pense que ce que Keane a fait est formidable. Si c’était mauvais, tant de gens ne l’aimeraient pas. » réagit Andy Warhol à l’époque de la contreverse.
- Oser une nouvelle vie
Après son procès, Margaret quitte la Californie pour s’installer à Hawaï avec son second mari. Le changement de décor marque une renaissance personnelle et artistique : ses œuvres s’éclairent de couleurs plus vives et d’expressions plus apaisées. Comme elle le confiait au Los Angeles Times en 2000 : « Les visages des enfants reflètent la joie et la paix intérieures que je ressens. Ils ont toujours de grands yeux, mais certains rient désormais. »
- Inspirer les générations suivantes
En 2014, l’histoire de Margaret Keane revient sur le devant de la scène avec Big Eyes, le film que Tim Burton lui consacre. Amy Adams y incarne la peintre dans un rôle salué par la critique. L’actrice confiait au Independent avoir d’abord refusé le scénario, par crainte d’interpréter une figure trop passive. C’est la maternité qui a changé son regard. « Lorsque je l’ai relu [le scénario], après être devenue mère, j’ai totalement identifié Margaret. Au lieu d’y voir de la naïveté et de la vulnérabilité, j’y ai vu de la force. » (The Independent, 2014). Ce film a replacé le nom de Keane dans l’histoire de l’art populaire américain et l’a fait découvrir à une nouvelle génération.
- Prouver que le succès n’a pas d’âge
Après avoir récupéré la paternité de son œuvre, Margaret Keane a poursuivi sa carrière pendant plus de quarante ans. Ses toiles se sont vendues dans le monde entier, parfois à des prix records, et elle a continué à peindre jusqu’à la fin de sa vie, en 2022, à l’âge de 94 ans. Peu avant sa mort, elle confiait : « Je suis heureuse d’avoir vécu assez longtemps pour voir mon travail enfin reconnu. » (New York Times, 2022).