« LA COMPAGNIE DES AIDANTS », L’INDISPENSABLE ASSOCIATION QUI SOUTIENT UNE POPULATION INVISIBILISÉE DE 11 MILLIONS DE PERSONNES

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Claudie Kulak, extrait vidéo caravane des aidants

Ce 23 octobre, la ministre de la santé Agnès Buzyn et la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées ont dévoilé leur plan de « mobilisation et de soutien des proches aidants » assorti d’une enveloppe de 400 millions d’euros. Une annonce très attendue par les quelques 11 millions d’aidants qui prennent en charge proches malades, en situation de handicap ou parents dépendants. Claudie Kulak, co-fondatrice de l’association La compagnie des aidants, rencontrée il y a quelques jours, fait le point de la situation.

Qui sont les aidants ?

En France il y a 11 millions d’aidants. Ce n’est pas un chiffre surévalué au regard des 20 millions de personnes atteintes de maladies chroniques, des 12 millions de personnes en situation de handicap, des 900 000 personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. L’étude de la DRESS (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) de 2003/4 annonçait 8 millions mais on est largement au dessus.

Vous avez été vous même aidante, mais sans mettre de mot sur cette fonction ?

Je me suis occupée d’une tante âgée et handicapée et d’un père atteint de la maladie d’Alzheimer. Un jour j’ai été voir ma prestataire de service pour lui dire que j’en pouvais plus, que c’était trop compliqué. Elle me dit bienvenue chez les aidants. Pour moi, je faisais ce que j’avais à faire, mais je voyais bien que c’était presque un job professionnel, les soins, gérer le parcours de santé… J’ai participé à à des focus-groupe avec d’autres aidantes, j’ai écouté des femmes qui me racontaient ma vie. J’ai commencé à écrire un projet et c’est comme çà qu’est née la Compagnie des aidants.

Que proposez-vous sur votre plateforme en ligne ?

J’ai été lauréate du premier forum de l’économie sociale et solidaire des Hauts de Seine en 2011. Après, j’ai trouvé des financeurs complémentaires et nous avons une première version du site qui évolue au fur et à mesure de l’identification des besoins des aidants. A force d’écouter leurs difficultés, les orienter, on a développé de nouvelles fonctionnalités, comme la plateforme de formation en ligne avec les bons gestes et postures, parce que 80% des soins sont fournis par les aidants.

La tournée de la caravane que vous avez organisée sur tout le territoire vous permet de rencontrer les aidants, quels sont leurs principales demandes ?

On aura fait 10 étapes cette année. On s’installe sur les parvis des hôpitaux, des parkings des géant Casino ou en plein centre ville. Intitulée « Tous Aidants » notre caravane porte un message d’information et de réconfort. Les aidants ont besoin d’écoute, ils sont au bout du rouleau. Ils rentrent dans la caravane et pour beaucoup se mettent à pleurer. Ils n’ont pas conscience de tous les solutions qui existent sur le territoire sur lequel ils sont installés. Alors on fait venir des partenaires locaux, des structures a qui on donne de la visibilité sur ce qu’ils font. Les gens qui sont souvent étonnés.

La premier constat est donc un grand sentiment d’isolement ?

Enorme sentiment d’isolement ! Mais il y a aussi le problème financier. Le maintien à domicile, l’entrée en maison de retraite c’est très cher pour les familles. Toutes les personnes âgées ne sont pas des riches senior avec des propriétés ! Quand nos parents âgés n’ont pas les moyens, nous devons financer cette perte d’autonomie. Nos parents se sont occupés de nous pendant des années, c’est normal. Mais à une époque où les salariés  ne sont pas des salariés riches, où les générations pivot doivent financer les études de leurs enfants, tout cela a un coût. Et quand on doit aussi financer des heures de services d’aide à la personne, on doit faire des choix. Les familles nous disent je ne pars plus en vacances, Je ne dépense plus pour m’habiller.

Est ce que les femmes sont en première ligne ?

On a porté un plaidoyer (le collectif associatif qui s’appelle je t’aide) et lorsque la situation devient compliquée on constate que 64% de femmes s’y collent. Ce sont elles qui viennent à la caravane. Par exemple, quand un enfant a un cancer ou un proche qui a une maladie rare. Les femmes gagnent moins que leur mari, si il y en a un dans le couple qui doit s’arrêter c’est l’épouse.

Une société riche comme la notre devrait prendre en charge ces ainés pour qu’ils puissent vivre décemment au domicile avec plus de coordination, plus d’heures de service à la personne. Il y a  des mamans qui se mettent en surendettement parce qu’il n’y a pas de structure pour s’occuper de leurs enfants, pas de parachute doré pour elles. On constate que des gens se mettent en grande précarité.

Claudie Kulak

Est ce que l’on peut apprendre de ce qui se fait ailleurs comme dans l’Ontario avec les Family HealthTeam* ?

Il y a beaucoup d’expérimentation qui sont en cours sur les territoires. Tout le monde cherche un modèle idéal mais je pense qu’on ne peut pas calquer le même modèle sur tous les territoires. Si on prend un territoire montagneux c’est pas la même chose que pour ceux qui sont en zone urbaine où il y a des transports. On doit adapter en fonction de la géographie du territoire et aussi de sa population. En milieu rural ou montagnard on constate une solidarité beaucoup plus forte avec des systèmes organisationnels qui sont hyper pertinents. En zone urbaine on a plus d’isolement, ce qui peut paraître étrange.

Quels réponses pertinentes avez-vous identifiées ?

Je veux qu’on arrête de tout saucissonner, de tout fracturer. La réponse est collective, chacun a un bout de cette réponse et tout le monde doit travailler ensemble. Quand on se déplace avec notre caravane, nous donnons de la visibilité aux structures locales. On les met en réseau pour qu’elles apprennent a travailler ensemble. Et c’est incroyable ce qui existe. Par ailleurs, Je suis financée par des groupes de protection sociale et heureusement qu’ils sont là ! Il faut saluer leur engagement social auprès des fragilisés, ils financent tellement d’associations !

Il y a aussi un manque de communication, un défaut d’information ?

Si on avait des campagnes sur la fragilité, la perte d’autonomie, la dépendance pour que chaque citoyen comprenne qu’il n’est pas à l’abri d’être un jour aidé, d’être un jour aidant, cà serait différent. Ensuite, il y a un millefeuille, on a fait des CCAS (Centre Communal d’Action Social), on a les CLIC (Centre Locaux d’Information et de Coordination gérontologique) … Maintenant on suggère de refaire les maisons des aidants et des aidés ! Non ! Il faut un seul lieu : la maison du peuple, la mairie ! Avec des gens formés, capables de faire des évaluations à 360° et donner les bonnes informations.

Qu’attendez-vous du plan de mobilisation porté par la ministre de la santé et la secrétaire d’Etat au handicap ?

En début d’année madame Buzyn avait demandé que nous organisions un débat avec le collectif Je t’aide à l’issue duquel nous avons remis 21 propositions. Nous voulons un statut, car cela donne des droits. Nous avons lancé une consultation en ligne et les aidants se sont exprimés. Ils demandent un congé de proche aidant, mais aussi le droit à la retraite. On a demandé également une simplification administrative, plus d’heures de services à la personne. Il faut aussi revoir l’aide sociale avec le remboursement sur succession. Ce sont des familles qui n’ont rien donc c’est dingue de faire des trucs pareils ! Il y a trop de fragilité. Les gens qui se battent pour leur proche donnent tellement d’amour, mais ce n’est pas pour ça qu’ils doivent vivre dans la précarité, mettre leur santé en danger ou se mettre en péril.

Les aidants sont autant de cathédrales à protéger.

Claudie Kulak

Ce sont des politiques à long terme ?

Il y a énormément d’associations sur les territoires qui font un travail remarquable. Il faut les soutenir, c’est du long terme. Les politiques sociales ne peuvent pas être pensées en court terme, il faut de l’investissement sur du long terme, parce que toute notre société en bénéficiera. il y a par exemple, sur le sujet du handicap, des mamans sur diplômées, obligées d’arrêter de travailler parce qu’il n’y a pas de structure pour accompagner leur enfant. Toute cette richesse est perdue. Des gens formés, intelligents qui peuvent permettre à des entreprises d’être plus performantes, si on la libère par des services à la personne, par des structures locales.

Vous êtes confiante ?

J’ai énormément confiance en Agnès Buzyn, je pense qu’elle a compris les besoins. Le chantier est tellement énorme qu’il faut lui laisser un peu de temps. Mais nous serons vigilants parce qu’on veut que la situation évolue. Par ailleurs, on part de tellement loin qu’il faut accompagner les politiques pour leur permettre de comprendre la situation et d’aller vers une mutation. Je vois aussi des agents qui travaillent dans des structures qui sont au bout du rouleau, des salariés fragilisés, épuisés parce que la tache est tellement énorme ! Une meilleure organisation, une meilleure prise en charge de la fragilité est nécessaire aujourd’hui.

Comment changer le regard de la société sur ces enjeux du vieillissement ?

Je suis administratrice du cluster Silver Valley qui est un club très impliqué dans la silver économie, et il faut que ceux qui nous gouvernent finissent par comprendre que cette économie du vieillissement, de la fragilité, c’est de la richesse. Ce sont des gens qui sont au travail, ce sont des produits et des services qui sont vendus, c’est de la tva qui rentre, ce sont des charges sociales qui rentrent dans les caisses de l’URSSAF. Il faut considérer que ce n’est pas uniquement des coûts c’est aussi des recettes pour l’Etat. On ne voit la perte d’autonomie que sous le prisme du coût, jamais de la richesse.

Quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?

Je suis très émue parce que je vais avoir fait 10 étapes de la tournée de la caravane. Je rencontre 200 à 300 personnes sur trois jours qui sont au bout du rouleau. Mon engagement ne fait que s’amplifier auprès des aidants. Moi je n’ai pas d’argent public, je me débrouille, je vais chercher des partenaires de bonne volonté.

Family HealthTeam* : centres qui regroupent des médecins, infirmier.e.s, travailleurs sociaux, diététiciens … qui apportent des programmes et des services à une communauté. sur la base d’une mutualisation dans l’organisation.

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