FRÉDÉRIC ENCEL : « LA PARITÉ EST MATHÉMATIQUEMENT IMPOSSIBLE EN GÉOPOLITIQUE »

où sont les femmes en géopolitique

Où sont les femmes en géopolitique ? Une question légitime à l’aune des conflits récents et particulièrement de la situation en Afghanistran. Peu nombreuses, les femmes géopolitologues font figure d’exception. Leur analyse fait défaut pour Frédéric Encel, docteur en géopolitique et maitre de conférences à Sciences Po. A la veille du colloque qu’il organisait à Trouville sur mer, nous lui avons demandé de dresser un état des lieux de la place des femmes dans les conflits et leurs résolutions. Il n’y a pas de miracle.

La géopolitique est-elle un domaine réservé aux hommes ?

La géopolitique, pas davantage que d’autres disciplines n’est réservée officiellement aux hommes puisque au sein des armées et de la police les femmes ont en principe leur place. Mais à l’école, depuis la maternelle jusqu’à l’université en passant par le lycée, l’histoire politico militaire semble être réservée aux garçons et c’est un constat empirique je fais en tant que professeur depuis 28 ans. C’est une discipline qui choisissent davantage les garçons.


Il faudrait peut-être revenir à la manière dont les parents, la société perçoivent les garçons et les filles. Cela commence tôt, les petits soldats pour les garçons, les poupées pour les filles. Je ne dirais pas qu’il y a un encouragement particulier de la part des professeurs ou de l’institution en faveur des garçons pour choisir ensuite les disciplines qui vont mener à la géopolitique, mais c’est un constat que je fais lorsque j’organise des colloques, des conférences, des assises de géopolitique pour trouver des intervenantes.

Pourtant vous soulignez qu’il y a beaucoup d’historiennes, à quel moment les perd-on ?

Il y a pratiquement autant d’historiennes que d’historiens, mais souvent leur domaine de prédilection concerne d’autres angles que ceux de la guerre pour faire très court ou de la diplomatie. Par conséquent il faut soit ouvrir les angles car la géopolitique n’est pas seulement destinée à la guerre, soit il faut aller chercher des gens plus jeunes, ces dernières années il y a une vraie évolution, les jeunes doctorantes sont plus intéressées par la géopolitique. Mais a parité est mathématiquement impossible en géopolitique, pour moi c’est une difficulté lorsque j’organise des colloques, mais il y a toujours une experte a minima dans mes tables rondes.


Les Américains ont eu des femmes Secrétaire d’État à la défense, Condoleezza Rice, Madeleine Albright. Ont-elles eu une influence particulière en géopolitique où à la marge ?

La question qui est posée est celle de la politique menée et des différences réelles ou pas menées par des femmes par rapport aux hommes. Si cette différence existe, elle se fait dans le sens de la sévérité, de la dureté, du nationalisme voir de la guerre. Indira Gandhi en Inde, Margarethe Thatcher en Grande-Bretagne, Golda Meir en Israël, Madeleine Albright à la diplomatie américaine notamment pendant la catastrophe du Rwanda, Evita Péronne en Argentine en sont des exemples. Mais établir une règle selon laquelle les femmes seraient plus dures parce qu’elles essayent de démontrer qu’elles ne sont pas faibles est une hypothèse à laquelle je n’adhère pas forcément.

L’une des grandes génocidaire de gouvernement intérimaire du Rwanda en 94 Pauline Nyiramasuhuko a été condamnée à la perpétuité par le Tribunal Pénal international pour crimes de génocide et crimes contre l’humanité en 1994. Elle a organisé une campagne de meurtres et de viols de 200 à 300 000 femmes.

Il y a un mouvement de diplomatie féministe qui a été instauré par les pays du Nord, est-ce que cette tendance pourrait avoir cours en matière de géopolitique ?


Les pays du Nord ont renoncé à la puissance globale, Ils ont renoncé au « hard power  » [NDLR : puissance militaire] pour l’essentiel. Peut-être pas la Norvège qui fait partie de l’OTAN. C’est plus facile avec les pays scandinaves parce qu’il y a très peu d’enjeux géopolitiques.

La résolution des conflits se passe toujours entre hommes, est-ce que la donne changerait si les femmes étaient à la table des négociations ? Et ce dès le niveau local ?


C’est une question piègeuse, parce que si on répond oui, c’est qu’on accepte de se contenter que des femmes soient à des à postes subalternes. Le Rwanda aujourd’hui est le paradigme de la montée en puissance des femmes, le parlement est constitué aux deux tiers de femmes. Ce n’est pas un parlement démocratique mais dans les villages jusqu’aux anciens tribunaux post génocide, les femmes ont eu et ont un rôle tout à fait prépondérant. On peut citer l’ancienne ministre des affaires étrangères Louise Mushikiwabo qui dirige l’Organisation Internationale de la Francophonie, bras droit de Paul Kagamé, président du Rwanda. Est-ce que ça signifie que l’effectivité du pouvoir ou une partie de pouvoir en tout cas appartient aux femmes ? Non parce que l’effectivité du pouvoir n’appartient qu’à une seule personne cette personne est un homme. On est sur deux strates différentes.

Donc il n’y a aucun ruissellement du pouvoir vers les femmes ?

En géopolitique il y a l’effectivité absolue du pouvoir, le vrai pouvoir concret, celui des stratège qui décident de la paix, de la guerre sur des espaces et des temps long avec des moyens importants et puis ensuite, souvent de manière pyramidale, il y a un organigramme, une administration où là on trouve beaucoup plus de femmes. En Inde il y a eu une première ministre, des ministres et des députées qui ont disposé d’un réel pouvoir égal en tout cas à celui de leur semblables masculins mais le sort des femmes dans la société ne s’est pas du tout amélioré notamment parmi les plus pauvres.

Quelles sont les femmes d’influence en géopolitique ?

En France il y avait Thérèse Delpech, experte internationale du nucléaire aujourd’hui décédée. De centre-gauche, elle était influente, très proche du pouvoir sous la présidence de Sarkozy, elle faisait partie d’un think tank. Aujourd’hui, on peut citer Béatrice Gimlin directrice de la revue Hérodote, Nicole Gnesotto qui a dirigé union de l’Europe occidentale, branche militaire de l’union européenne complètement paralysée par L’OTAN.

Est-ce que la place des femmes est un enjeu peu géopolitique ?

Oui dans la mesure où les régimes phallocrates et misogynes accusent l’Occident d’instrumentaliser ce qui d’un point de vue social et culturel leur appartient. Et l’Occident au contraire estime avec plus ou moins de sincérité qu’on ne peut pas considérer de la même manière un régime qui traiterait réellement trop mal 50 % de sa population. Mais ce n’est pas un enjeu majeur.

La nature du pouvoir doté de ses prérogatives étatique est différente de la nature du pouvoir local notamment municipal. Le plus important ce sont les exécutifs étatiques et encore pour longtemps. Et si on regarde les GAFAM qui les dirigent ? Il n’y a aucune femme. Donc je pense que ce n’est pas uniquement un problème político étatique.

Laisser un commentaire

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.