À 51 ans, Virginie Lesdemia casse les codes de l’industrie musicale avec son projet « Les Femmes Canon », un compte Instagram qui célèbre la créativité à tout âge. Dans cette interview, elle raconte son parcours, la création de son projet, et dénonce l’âgisme dont souffrent les femmes dans le milieu artistique.
Comment en es-tu arrivée à être une jeune chanteuse de 50 ans dans une industrie aussi jeuniste que la musique ?
J’ai toujours été dans le milieu artistique, j’ai commencé par la danse. J’étais en sport-études en danse classique dès 15 ans, puis j’ai fait un bac littéraire option théâtre. Après, j’ai intégré l’école du mime Marcel Marceau, mais j’étais trop bavarde (rires), alors je suis partie pour des études de musique à la Sorbonne puis une école de jazz. Je suis intermittente du spectacle depuis 1997, c’est vraiment mon milieu. J’ai travaillé en tant que chanteuse, choriste, j’ai fait de l’opérette, des trios de jazz, des émissions de télé… Bref, j’ai navigué dans tout cet écosystème. Parallèlement, je suis coach vocal et comédienne.
C’est impressionnant ! Mais à un moment, tu as ressenti une baisse d’activité. Tu arrives à dater ça ?
Oui, ça a commencé après la naissance de ma troisième fille. J’ai moins travaillé, et en parallèle, les émissions de variété se faisaient plus rares. Je commençais à être concurrencée par des chanteuses plus jeunes. À 43 ans, j’ai recommencé à faire de la télé, mais l’objectivation de mon corps me pesait. J’ai pris du recul et commencé à réfléchir à la médecine esthétique. J’ai même pris un rendez-vous pour des injections… mais je ne l’ai jamais honoré.
Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
La médecin a décalé le rendez-vous et je ne l’ai jamais rappelée. Ce n’était pas pour moi, mais je ne juge pas les femmes qui le font. J’ai juste réalisé que c’était le moment d’accepter qu’on allait moins me voir.
Et c’est à ce moment que tu lances « Les Femmes Canon » ?
Oui, c’était un peu une réponse à ce constat. Je voulais un projet qui démolisse les clichés, un projet où je sois aux commandes. Je voulais l’appeler « La Femme Canon », mais c’était pris, alors je l’ai rebaptisé « Les Femmes Canon ». Je voulais montrer que même à 50 ans, on peut encore être créative, émergente et casser les codes.
Quelles ont été les réactions dans ton milieu pro ?
Certains m’attendaient au tournant, mais beaucoup de chanteuses m’ont soutenue. Elles m’ont dit : « Merci de parler pour nous, merci d’ouvrir la voie. » Il y avait un écho, une attente. C’est vrai que ça a pris du temps, mais ça valait le coup.
Pour ton clip « Fucking Place » réalisé par Xavier Pujade Lauraine, tu as réuni un casting impressionnant avec Julie Gayet, Yaël Naïm et David Donatien. Comment as-tu géré la production ?
Financièrement, c’était une montagne à gravir. Je n’aime pas demander des choses sans budget, mais tout le monde a travaillé bénévolement. Ça a créé un vortex d’énergie quand Julie a dit « Ok », et on a pu faire un beau projet. Je ne voulais pas que des personnes connues dans le clip, je voulais que des femmes de tous horizons soient représentées.
Ça veut dire que finalement toutes les femmes sont concernées par l’âgisme ?
Oui, mais je pense que c’est très intériorisé et qu’il y a plein de femmes encore qui ne veulent pas l’avouer. Moi, il n’y aurait pas eu le podcast de Sébastien Folin, [NDLR : épisode consacré à l’âgisme] je ne sais pas si j’aurais verbalisé ça comme je le fais maintenant. Et je pense que j’aurais intégré, tu vois, je serais restée sur le truc de « oui, ça va, on laisse notre place ».
Tu montres avec ce projet que la création n’est pas réservée à ceux qui ont moins de 30 ans. Peux-tu nous parler de cela ?
Exactement, et pour moi, cela touche à un sujet central : l’émergence. Quel est l’âge de l’émergence ou du talent ? C’est la question que je pose avec ce projet. Je suis littéralement le sujet de ce que je défends. À mes yeux, mon âge ne devrait même pas être un sujet en tant qu’artiste. Mais en réalité, dans la musique, l’âge est une question qu’on aborde souvent en coulisses. L’une des premières choses qu’un label demande lorsqu’on lui présente une artiste, c’est : « Quel âge a-t-elle ? »
C’est fou !
Oui, parce que pour moi, la notion de temporalité est complètement différente. Je disais à mon producteur : « Il faut qu’on se dépêche, je n’ai pas la même temporalité qu’une nana de 25 ans ». On ne peut pas imaginer trois albums sur dix ans. Mais il m’a répondu : « Non, la temporalité sera la même. Il faut qu’on prenne le temps, et on le prendra ». Mais dans cinq ans, j’aurai 56 ans.
D’ailleurs, on m’a même dit : « C’est très à l’ancienne comme prod, ça ne passera jamais en radio, c’est suicidaire de faire un projet à 50 ans ».
Pourtant, on ne fait jamais de réflexion sur l’âge de Mick Jagger…
Exactement, et quand on en parle, c’est dans des termes élogieux du type : « Mick Jagger pète la forme ». J’avais d’ailleurs fait une vidéo à ce sujet, à propos de Kylie Minogue qui sortait un album à 50 ans. On disait d’elle qu’elle « ne craint pas les critiques ni le bad buzz ». J’ai alors trouvé cette formule : « Moi, je vais être une artiste émergente de 50 ans ». Pour l’instant, mes contrats sont sur un label indépendant, celui de Yaël Naïm et David Donatien, pas encore une grande maison de disques.
Tu permets à d’autres femmes de s’identifier à toi. On a envie de voir plus d’artistes de tous les âges.
C’est vraiment important, et puis honnêtement, ça fait du bien d’être une jeune artiste ou entrepreneure à plus de 50 ans. Je suis lassée de ce jeunisme ambiant. Les pubs antirides avec des jeunes femmes, ça me fatigue ! Avec mes trois filles, je suis fière de leur montrer, avec ce projet, qu’elles ont encore tout le temps devant elles, et que tout reste possible.
Tu as aussi fait un clip pour ta chanson « Ceci est mon corps ». Peux-tu nous en dire plus ?
J’ai fait un clip où je suis entourée de scotch pour symboliser la consommation et le jetable. J’ai voulu aborder la question du corps de manière crue, sans fard. Mais on m’a dit : « Regarde le corps que tu as ! » Ce corps, je l’ai travaillé après des effets secondaires de la ménopause, notamment de l’ostéoporose. J’ai dû faire de la musculation pour solidifier mes os, et cela m’a beaucoup aidée physiquement et mentalement.
Ces chansons « Ceci est mon corps » et « Fucking Place » vont-elles figurer dans un album ?
Oui, elles feront partie de mon EP, qui comprendra 7 titres. Ces chansons partent de l’intime pour parler de l’universel. Si des femmes peuvent s’identifier, alors mon pari est réussi.
Tu démontres que la création n’est pas réservée aux jeunes, mais tu as aussi beaucoup travaillé avec des personnes plus jeunes. Quel est ton point de vue sur cette dynamique intergénérationnelle ?
On a bien compris ce que les jeunes générations peuvent nous apporter, mais j’ai l’impression que l’inverse n’est pas encore vrai. Ils ne voient pas toujours la richesse de notre expérience. Pour moi, c’est beaucoup plus intéressant de travailler avec des gens de tous âges, parce qu’on fait les choses différemment, et ça, c’est stimulant.
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