Alors que le mois a débuté avec le lancement de la 26 ème campagne annuelle d’Octobre rose destinée à sensibiliser sur le cancer du sein et à collecter des fonds, des voix expriment un ras le bol de ce « pinkwashing » qui distille une représentation erronée de ce que vivent les malades.
Sur sa page Facebook « les crabes dansent au Croisic », Catherine Barré, atteinte d’un cancer du sein métastatique a entrepris de parler du cancer de manière réaliste. » je voulais qu’on ouvre les yeux sur cette maladie ». Sans contester le bien fondé des objectifs de sensibilisation au dépistage et aux besoins de la recherche, elle fustige les campagnes d’Octobre rose qui donnent une image glamour du cancer. « C’est comme si on devait nous imposer le modèle de réaction au cancer hyper positif exagérément heureux, la vie est belle et tout va bien » ! Sans compter les dommages collatéraux. « A chaque fois que des émissions et des reportages parlent de nouveaux traitements, mes enfants posent sur moi un regard plein d’espoir et il faut que vous répariez cela…
Une communication trop rose
Au fondement de sa colère, les messages de l’association Rose Up qui se réapproprient la base line d’autres campagnes. Particulièrement le slogan « Avant j’avais un cancer, maintenant j’ai plein d’amies » déclenche sa colère. Cette manière trop légère et trop souriante de parler du cancer du sein masque la réalité d’une maladie pas rose du tout. « C’est exaspérant ce slogan ! Comme si une fois les traitements terminés l’histoire l’était aussi. Toutes les femmes que vous interrogerez vous diront on ne tourne jamais la page » s’exaspère Catherine. La vidéo de la campagne postée suscite de nombreuses réactions identiques. « il suffit d’en parler autour de soi : le cancer du sein se soigne très bien, voilà ce que pense la majorité des personnes qui n’ont jamais été confrontées directement ou pas à cette maladie. On oublie toutes les séquelles physiques ou psychologiques liées à la maladie ou aux traitements » renchérit Florence en commentaire.
Le problème c’est l’accumulation de ces messages maladroits toujours bien intentionnés. Des années de communication hors sol, sur les sempiternels thèmes du combat, des guerrières, des héroïnes, de la résilience, du positif à tout crin. Foutaises habituelles qui banalisent le cancer du sein, installent l’idée que si on n’en guérit pas, c’est qu’on l’a un peu cherché. Et quand on est touchée en prime par la version métastatique du cancer, cette mascarade, cette dégoulinade de rose devient indigeste à la longue. On ne demande que la vérité, le cancer tel qu’il est.
Catherine Barré
Se battre contre les idées reçues
La réalité est effectivement autre. « Les gens nous disent « ce traitement tu en as pour combien de temps ? » Mais ils n’ont pas compris que si on arrêtait le traitement on crevait ! Quand il ne marchera plus on en prendra un autre ». Catherine se bat contre toutes les idées reçues. Elle s’exprime tout particulièrement au nom des femmes qui souffrent d’un cancer métastatique, oubliées de la communication globale sur le cancer. « il suffirait d’avoir un discours clair, mais pas alarmiste, ni noir, ni rose, pour dire ce qu’est cette maladie ». Aujourd’hui, le collectif 1310 monte au créneau sur ces cancers peu connus et incurables. Guérie d’un lymphome il y a 20 ans, elle est persuadée qu’il en sera de même lorsqu’elle reçoit le diagnostic de son cancer du sein. « Quand j’ai récidivé en 2012 je n’ai absolument pas compris ce qui m’arrivait et j’ai mis une énergie folle à m’en remettre ».
Les limites de la mammographie
Le radiologue qui pratique sa mammographie n’a pas eu d’hésitation. « Il m’a dit il y a une petite calcification, mais rien de grave. Revenez dans 6 mois à un an ». 6 mois plus tard, la maladie flambe. L’examen ne fait tout pas tout souligne Catherine, « A partir du moment où il y a quelque chose déclaré comme étant un petit truc, il faut creuser, aller voir quelqu’un d’autre, dire qu’on a besoin d’être rassuré ». Par ailleurs, le dépistage systématique par mammographie à partir de 50 ans laisse sous le radar, les femmes plus jeunes. Selon l’Institut Curie, « Le cancer du sein de la femme jeune, même s’il reste rare, est une réalité qui reste méconnue du grand public, voire des professionnels de santé« . Cette réalité concerne 12100 femmes de moins de 50 ans, et 3000 de moins de 40 ans, selon les chiffres de l’Institut National du Cancer.
Il y a peu de femmes malades qui montent au créneau, moi je vis mes dernières heures, il faudrait une relève et je la vois pas vraiment.
Catherine Barré
Cette maladie c’est la précarité
L’ex communicante opte pour des mesures de bon sens. « Ce qui serait plus pertinent c’est que tous les gynécologues de France apprendre dès la première visite à se palper les seins devant son miroir, ça permettrait d’éviter les catastrophes ». Notamment sur la gestion de la vie des malades. Là encore le rose n’est pas de mise. « Il n’y a pas un moment où le cancer vous lâche » explique Catherine qui s’estime chanceuse d’avoir pu financer sa maison sans recourir au crédit. « On vous refuse les emprunts, je n’ai jamais retrouvé ma place au boulot, j’ai du négocier mon départ. C’est le lot de toutes les femmes qui ont eu un cancer du sein. Quand vous revenez après 18 mois d’interruption, les entreprises ne sont pas formées à ça ». Cette maladie c’est la précarité.