La réalisatrice française Coralie Fargeat signe à 48 ans un deuxième long-métrage sur le passage à la cinquantaine d’une star de la télévision américaine. En salle depuis le 6 novembre, le film, lauréat du meilleur scénario au festival de Cannes, explore la question de l’âgisme avec une esthétique gore revigorante. Lui manque un esprit revanchard.
L’histoire paraît affreusement banale. Elizabeth Sparkle (Demi Moore), ancienne actrice reconvertie en star de la télé, fête ses 50 ans dans le studio où elle a ses habitudes. Flanquée de son body bleu, telle une Jane Fonda, elle vient de terminer d’animer sa célèbre émission de fitness et envoie son baiser à la caméra et aux téléspectateur·rices, sa marque d’au revoir. Elle pensait dire à demain ; pas adieu. Son producteur en a décidé autrement.
« Les gens demandent toujours de la nouveauté. Et à 50 ans, ça s’arrête », lui assène-t-il, dans une scène de restaurant assez mythique, avec des gros plans sur sa manière de dévorer des crevettes. Une scène qui dépeint la grossièreté du personnage – vil représentant d’une société fascinée par la jeunesse – et qui déploie les références cinéphiles de la réalisatrice, fan de Cronenberg, Lynch et Kubrick.
Le rejet de la vieillesse des femmes
C’est la banalité d’un homme de plus de 50 ans, en position de pouvoir dans l’univers de la télévision, qui ose dire à une femme venant d’avoir 50 ans qu’elle, elle ne vaut plus rien. Que passée 50 ans, la voici périmée à ses yeux et à celui de l’audimat, qui dirige sa façon de penser et celle des actionnaires de sa chaîne. Le match de l’inégalité des sexes face à l’âge est rejoué à la table de ce restaurant. Et la femme y apparaît perdante, comme toujours.
Elizabeth Sparkle en reste bouche bée. Ce n’est pourtant pas une si grande surprise, mais comme beaucoup d’actrices – de femmes – , elle espérait que ce sort ne tomberait pas sur elle. Bouleversée, la voici renversée par une voiture. Lors de son passage à l’hôpital, déconfite par les événements, un jeune médecin à la peau lisse et bronzée pense répondre à sa souffrance en lui donnant sous le manteau des indications pour un traitement de rajeunissement : The Substance.
D’abord, Elisabeth Sparkle résiste. Le film pourrait devenir intéressant s’il explorait cette voie. Mais ce n’est pas cette facette que Coralie Fargeat a choisi d’explorer, cela aurait été un peu trop lisse pour la réalisatrice connue pour ses films de genre. Celle-ci veut sonder l’âme humaine – l’âme d’une femme, surtout – face à un choix cornélien. Celui d’accepter une vieillesse en dehors des écrans ou de chercher coûte que coûte à correspondre aux diktats pour continuer, quitte à y perdre une partie de son âme. Avec une esthétique gore et jusqu’au-boutiste, c’est ce scénario qu’elle a poursuivi.
L’âgisme soluble dans « The Substance »
Le venin de l’âgisme a commencé à couler dans les veines d’Elisabeth Sparkle et la phase de détestation est installée. Elle ne supporte plus son visage ni dans le miroir, ni sa photo grandeur nature qui trône dans son immense salon. Elle voit sa déchéance mise en scène, par les affiches de son show placées au rebut. L’empathie est brute, maximale.
Puis le film vire à la farce, grotesque et horrifique. C’est un peu caricatural, mais voici Elisabeth Sparkle qui se faufile avec son manteau jaune vif et ses larges lunettes de soleil dans un quartier mal famé, allant récupérer la fameuse « substance », censée lui permettre d’accoucher d’une « meilleure version » d’elle, « plus jeune, plus belle, plus parfaite ». Elle n’y résiste plus, s’injecte le liquide vert fluo.
La revisitation du Portrait de Dorian Gray ou de L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde prend place, avec des codes empruntant aussi du côté de Frankenstein ou d’Elephant Man. À la place d’Elisabeth Sparkle, 50 ans, apparaît Sue, fringuante vingtenaire aux fesses parfaitement galbées. Tous les sept jours, elles doivent échanger de rôle pour que la combine marche. Il faut avoir l’estomac bien accroché pour assister aux scènes. Coralie Fargeat se délecte de cette permutation des corps et veut l’explorer jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.
Sue postule au casting pour remplacer Elisabeth. L’emporte. Élisabeth se réjouit d’abord, avant que la cohabitation entre les deux femmes ne devienne féroce. On aurait aimé à la place de cette compétition un vrai « revenge movie ». C’est d’ailleurs cette thématique que la réalisatrice avait explorée avec son précédent long-métrage. Que Sue se venge du système sexiste et âgiste qui avait déclassé Élisabeth, plutôt que de se vautrer à chercher l’attention de regards masculins libidineux. Là se trouve la faiblesse féministe du film, qui explore pourtant ce thème hautement féminin de la peur de la vieillesse.
Reste Demi Moore, incroyable dans ce film. Celle qui a incarné un fameux « sex-symbol » dans les années 1990 avec ses rôles dans Ghost ou Striptease, a accepté de se confronter à sa propre vieillesse en tant qu’actrice avec ce long-métrage. Demi Moore donne à voir ses rides, ses fesses qui tombent, puis sa défiguration la plus totale avec les artifices du film. Le mythe du jeunisme hollywoodien, c’est elle qui le dézingue le mieux.