« QUI A PEUR DES VIEILLES ? » MARIE CHARREL EXPLORE LE VIEILLISSEMENT DES FEMMES

"Qui a peur des vieilles" Marie Charrel
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Journaliste au Monde et romancière, Marie Charrel décortique dans son premier essai « Qui a peur des vieilles » la question taboue du vieillissement des femmes. Une invisibilisation portée par les injonctions au jeunisme de notre société. Pourtant cette étape de la vie des femmes est source de puissance pour peu que l’on change de point de vue.

Pourquoi s’intéresser au vieillissement des femmes quand on a 38 ans ?

Il y a beaucoup de raisons. Je trouve que beaucoup de jeunes femmes s’inquiètent de ces questions là, ce sont des questions que je me suis moi aussi posée et peut-être même qu’on se les pose de plus en plus tôt, les angoisses de certaines jeunes femmes avec l’apparition des premières rides, des cheveux blancs… C’est quand même fou alors que l’espérance de vie ne cesse de s’allonger. Et puis j’avais cet intérêt aussi par rapport à ma grand-mère que j’admirais beaucoup. Elle est revenue me visiter en pensée et c’est comme ça que la réflexion a vraiment commencé.

Pourquoi les femmes disparaissent de la société à partir du moment où elles commencent à vieillir ? Est-ce que c’est parce qu’elles ne sont plus fertiles ou parce qu’elles retrouvent de la puissance ?

Il me semble que c’est vraiment les deux avec tout ce qui est vraiment archaïque et qui n’est pas formulé dans nos représentations. Que les femmes ne soient plus fertiles passé et 50 ans et perdent leur utilité ça paraît totalement moyen-âgeux et n’est plus vrai. Ce sont des archaïsme ancrés dans les représentations. Il y a une énergie, une liberté de pensée qui s’est construit qui peut s’affirmer à ce moment-là. Ça fait peur aussi car cela ne rentre pas dans le moule patriarcal.

Est-ce que c’est aussi parce qu’on manque de modèles de femmes vieillissantes ou de représentation dans la société et dans les médias ?

Oui, il y a le manque de modèles de femmes de plus de 50 ans auxquels on peut s’identifier et qui ressemblent à nos mères avec leurs rides, avec un corps normal, c’est-à-dire pas complètement lisse ou sans âge parce qu’on voit beaucoup de femmes dont on ne sait pas dire quel âge elles ont. On voit qu’elles n’ont pas 30 ans, mais elles ont l’air d’avoir 30 ans. C’est un peu perturbant. L’industrie cosmétique cible les femmes de plus en plus jeune et ces deux phénomènes combinés n’aident pas appréhender ces questions sereinement.

Comment analyser cette contradiction entre des réseaux sociaux qui montrent de plus en plus de femmes vieillissantes et et cet étiquette de senior que la société nous colle dès 45 ans ?

Il y a toujours un décalage entre les représentations de ce que l’on peut voir dans les médias, sur les réseaux sociaux mais aussi les pratiques et tout ce qui est non-dit, non verbalisé dans les entreprises. Il y a beaucoup d’injonctions contradictoires. Ce qui me fait peur par rapport à l’usage de certains réseaux sociaux c’est que si on ne veut voir que des modèles de mannequins, de femmes inaccessibles et ne suivre que ces comptes là, on passe à côté du reste. Il y a un côté cloisonnant. Et c’est vrai que dans les entreprises cela met vraiment du temps à bouger.

Est ce que les femmes interviewées en entreprise ressentent cette disqualification de leurs compétences ?

Cela dépend de leur position. Plusieurs cadres intermédiaires m’ont dit mal vivre le jeunisme surtout au sein d’équipe inter générationnelle. Il y a aussi de jeunes femmes qui arrivent avec la novlangue de l’entreprise et qui parfois, sans s’en rendre compte prennent un peu de haut certaines femmes plus âgées et oublient qu’elles ont 30 ans de boite !

Les mouvements de bodypositive qui sont libérateurs ne risquent-ils pas de construire de nouvelles injonctions stigmatisantes pour les femmes qui souhaitent cacher les signes du vieillissement ?

Il y a toujours beaucoup d’injonctions contradictoires entre « assumez-vous tel que vous êtes ou soyez parfaite » ! Comment est ce que les femmes peuvent trouver leur place dans tout cela, certaines m’ont dit avoir essayer de laisser leurs cheveux blancs pendant le confinement et avoir mal vécu cette expérience. Elles ne se reconnaissaient pas. On peut se faire des injections de botox si on se sent mieux mais cela ne signifie pas qu’on sera soumise entièrement aux diktats. C’est difficile de trouver son espace à soi. L’injonction à rester jeune en entreprise, à être bien habillée … il y a de quoi rendre fou ! Beaucoup de femmes ont du mal à accepter leur corps à cause de tout ça.

Beaucoup de femmes disent se sentir mieux dans leur peau parce qu’elles se connaissent mieux, elles ont de l’énergie, il y a une liberté forte à ce moment là qui est la suite du chemin qu’on construit en tant que femme dès le début de sa vie. C’est une forme de puissance et c’est important de le dire car cela contrecarre l’image de la femme ménopausée un peu perdue. C’est ca qu’il faut mettre en avant pour les jeunes femmes, c’est ça que l’on veut comme modèle.

Qu’est ce qui relie tous les témoignages de femmes qui figurent dans le livre ?

Il y a des nuances et parfois des choses contradictoires à première vue. C’est « j’ai toujours l’impression d’avoir 20 ans mais qu’est ce que je n’aimerais plus avoir 20 ans » ! Etre pleine d’énergie mais ne plus vouloir vivre toutes ces incertitudes, ces angoisses, cet océan d’inquiétudes qu’on a fasse à soi quand on a 20 ans. On s’est construit et ça, ca donne envie d’avancer en âge. Même moi du haut de mes 38 ans, je sais aujourd’hui ce dont je suis capable et je n’ai plus peur de le faire, si c’est de plus en plus comme ça, c’est merveilleux.

Est-ce que le vieillissement des femmes est toujours un angle mort du féminisme ?

Il y a de plus en plus de penseuses qui se penchent sur cette question du vieillissement des femmes dans ses différentes dimensions y compris celles du corps avec la ménopause. On sent qu’il se passe quelque chose dans la réflexion, mais le constat est globalement le même et c’est étonnant de voir que les choses bougent si lentement. Il y a un tel décalage entre ce que les femmes vivent et cette image-là de vieillissement. Les propos de certains hommes sur le corps des femmes de 50 ans sont encore là et c’est peut-être ce qui est le plus déroutant.

Est-ce qu’il ne faudrait pas que ce combat sur la représentation des femmes de 50 ans soit porté par toutes les générations de femmes ?

C’est un vrai problème et un vrai sujet. Les féministes des années 70 ne se posaient pas la question de l’âge pour plein de raisons, car il y avait des combat très urgents, prioritaires [NDLR le droit àl’avortement]. C’est vrai que c’est un impensé du féminisme alors qu’il le faudrait, puisqu’on ne s’arrête pas d’être femme à un certain moment. Cette question manque d’inter générationnalité dans les mouvements féministes. Et aussi parfois de manque de dialogue. Nous manquons de pont et de sororité, car on emploie beaucoup ce mot mais j’ai l’impression que c’est très horizontal.

On parle des normes qui reposent sur les femmes quel que soient leur âge. Ce n’est pas un sujet des femmes de 50 ans, ni de femmes mais de société. Qu’est ce que c’est que cette société où on a des ornières ? Faisons les tomber et tout le monde sera plus heureux y compris les hommes.

Est ce qu’il ne faudrait pas s’inspirer de certaines sociétés africaines qui donnent aux femmes ménopausées toute leur place ?

Dans les travaux des anthropologues il est fascinant de voir à quel point ce sont des constructions sociales, le vieillissement peut être vu comme un moment de puissance où les femmes sont assises au conseil des hommes sur des sujets comme la guerre et prennent une parole égalitaire. Il y a beaucoup de choses à déconstruire, ce n’est pas une fatalité, c’est aussi ça les libertés dans les sociétés.

Est ce que l’écriture de ce livre a été rassurant à titre personnel ?

Oui, grâce à tout ce que j’ai pu comprendre sur cette liberté qu’on a avec l’âge passé 50 ans. C’est aussi quelque chose qui se construit bien avant. Il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse de dire la ménopause c’est super. Plus on essaie de déconstruire nos idées reçues sur nous-mêmes et le reste du monde, plus on peut être bien tout au long de sa vie. C’est bien de réfléchir à tout ça ! Faisons le ensemble, on ne peut qu’être tous gagnants.

Éditions Les Pérégrines, 288 p., 19 euros

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