« ON DIRAIT UNE MÉMÈRE » : ROMANE BOHRINGER ET L’ÂGISME DÉFILENT ENCORE À CANNES

agisme Romane Bohringer
capture Instagram @romanebohringerofficiel

À Cannes, Romane Bohringer a présenté un film sensible sur la perte maternelle. Mais sur les réseaux, on commente sa silhouette, son âge, sa ménopause supposée. Bienvenue dans le monde parallèle des femmes de plus de 50 ans, où le talent dérange moins que les kilos.

Sur le tapis rouge de Cannes, Romane Bohringer n’a pas trébuché. Elle a monté les marches comme on monte sur scène : droite, digne, avec cette intensité vibrante qu’on lui connaît. Et pourtant, à peine les projecteurs passés, une autre lumière s’est abattue sur elle – crue, violente, et profondément sexiste. Sur les réseaux sociaux, des internautes se sont déchaînés contre son apparence. Trop ceci, pas assez cela, « Je ne l’ai pas reconnue », « On dirait une mémère », « Qu’est-ce qui lui est arrivé ? », « Elle a pris cher », « Le coup de vieux », « Elle a sacrément morflé », « Elle a tellement vieilli »… ou encore, ce commentaire hallucinant : « pas cool la ménopause » .

Réponse du tac au tac

Plutôt que de plier, Romane Bohringer a riposté. Avec humour et panache, elle a posté sur Instagram une photo d’elle accompagnée de la légende : « Bonne fête des mémères », le jour même de la fête des Mères. Clin d’œil malin, ironie mordante. Une manière de retourner l’insulte et de revendiquer ce que le mot « mémère » voulait railler : une femme qui a vécu, qui a donné, qui n’a plus rien à prouver.

Ce n’est pas la première fois que l’actrice et réalisatrice met en jeu sa propre histoire. Dans Dites-lui que je l’aime, son dernier film présenté à Cannes, elle aborde avec délicatesse la question de l’abandon maternel. Elle y filme la faille, la transmission, le deuil – et surtout, l’intime au féminin. Loin des clichés lisses, elle y incarne une femme complexe, en dehors des cases, hors du marketing de la jeunesse éternelle.

Vieillir face caméra

Ce que l’attaque contre Romane Bohringer révèle n’est pas nouveau, mais toujours aussi glaçant : le corps des femmes reste un champ de bataille. Passé 50 ans, on attend d’elles qu’elles se fassent discrètes, qu’elles s’effacent. Qu’elles ne prennent pas trop de place, ni trop de poids. Et si elles persistent à exister, à créer, à s’exposer, alors elles doivent au moins le faire avec des rides bien disciplinées et une taille 38.

L’âgisme au féminin, surtout dans l’industrie du cinéma, est une double peine : celle d’avoir vieilli, et celle d’oser le montrer. Car pendant que les hommes mûrissent, les femmes, elles, dérangent. À l’image d’un festival comme Cannes, où les actrices quinquas sont encore rares à l’écran – et encore plus sur l’affiche.

Une sororité nécessaire

Depuis cette tempête numérique, des soutiens ont afflué. Juliette Binoche, Sandrine Kiberlain, mais aussi de nombreuses anonymes ont salué la répartie de Bohringer. Cette solidarité féminine est précieuse. Car il faut du cran pour monter les marches à contre-courant, sans s’excuser d’avoir un corps qui vit, un visage qui change, une présence qui dérange. Et si c’était ça, le vrai scandale : une femme de 51 ans, qui ne cherche pas à plaire, mais à être là — entière, libre, visible. Une actrice qui ne se conforme ni au lissage ni au silence. Une « mémère » qui claque la porte des clichés… et laisse le vent entrer.

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