MICHÈLE DELAUNAY : « LES POLITIQUES ONT DU MAL À PARLER DU GRAND ÂGE »

Michèle Delaunay
Michèle Delaunay capture Facebook

Michèle Delaunay, cancérologue, ancienne ministre déléguée aux personnes âgées dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault de 2012 à 2014 réagit au scandale ORPEA suite à la publication du livre enquête Les fossoyeurs de Victor Castanet. Des mécanismes de contrôle à mettre en place aux solutions pour sortir de ce système, l’actuelle présidente du gérontopôle de Nouvelle Aquitaine livre son analyse. Interview.

Etes-vous surprise de l’onde de choc qui suit la publication du livre de Victor Castanet ?

Il y a deux aspects. D’abord, je suis surprise de ce niveau de maltraitance et d’autre part de la deuxième chose qui est évoquée dans le livre, qui est au moins aussi grave, c’est qu’un ministre de la santé [ndlr : Xavier Bertrand de 2005 à 2009] ait eu des connivences avec ORPEA et l’ait largement protégé pour pouvoir construire de nouveaux EHPAD. En tout cas je ne suis pas surprise de ce livre puisque les auteurs, Victor Castanet, mais aussi Laurent Garcia, cadre de santé dans un EHPAD public de la région parisienne m’en ont tenu au courant. Ce livre est très sérieux. Il ne s’agit pas d’un coup politique puisqu’il n’est pas sorti lors de la candidature de Xavier Bertrand à la primaire LR pour les présidentielles.

Cette situation n’est pas récente ?

C’est tout à fait vrai et je vous avoue que cela m’interpelle moi-même. J’ai été ministre de 2012 à 2014 des personnes âgées et au cours de ces deux années que je qualifierais de bonheur parce que ce sujet me passionnait, j’allais régulièrement faire des visites d’EHPAD. Mais j’avoue à ma charge, que jamais je n’ai eu l’idée de me dire « c’est dans ces EHPAD très chics et couteux qu’il y a des scandales ». J’ai surtout visité des EHPAD publics dont à l’origine il y a souvent l’invitation d’un élu qui m’appelait pour mettre à l’honneur ces établissements, il ne s’agissait pas de faire des inspections. En revanche, j’ai vu des EHPAD en difficulté qu’on m’avait signalés mais je n’ai jamais eu aucune alerte sur de mauvais traitements. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit dans un EHPAD parisien si cher que l’on trouverait de tels manquements.

Pourtant la Cour des comptes exerce un contrôle ?

J’ai obtenu des députés que la Cour des comptes puisse inspecter toutes les maisons de retraite en particulier privées, à la fois sur le plan sanitaire et surtout sur le plan financier. C’est un des modes de surveillance, mais visiblement elle n’a pas eu connaissance de ces maltraitances. Selon mes sources, je crois qu’ils ne font peut-être pas sur la section hébergement et finance des examens suffisamment approfondis.

De quel type d’informations étiez-vous alertée ?

J’étais alerté plusieurs fois pour deux types de causes, d’abord des fugues ou des pertes de résidents, un résident Alzheimer qui sort et qu’on ne retrouve pas, puis pour des incendies. J’ai fait appliquer un règlement interdisant aux résidents de fumer dans leur chambre.

Est-ce qu’on ne peut pas voir dans le recul sur la loi sur le grand âge qu’on attend toujours le symptôme d’une société qui n’a pas du tout envie de traiter le sujet du vieillissement de sa population ?

Tout le monde est scandalisé. Les gens sont très attachés à leurs parents. Cela crée une émotion tout à fait énorme. Par contre je peux vous garantir et c’est tout à fait terrible, tous les politiques ont du mal à parler du grand âge. Jusqu’à ce scandale aucun des candidats à l’élection présidentielle n’avait avancé un programme grand âge. Pourtant ces personnes âgées représente 20 % de la population ! Ce livre a réveillé les politiques. Mais avant pas un mot. Il n’y a aucun discours qui avance sur ce sujet.

Je voulais faire l’acte deux de ma loi d’adaptation de la société au vieillissement et qui était surtout dirigée sur la société, l’habitat et le domicile. J’avais le soutien de Jean-Marc Ayrault. J’étais allée voir le président Hollande qui m’a dit : «Tu sais c’est très cher, nous ne pouvons pas le faire maintenant, de toute manière ma priorité c’est la jeunesse ». Et je lui ai répondu : «Monsieur le président je sais que tous les Français non pas d’enfants, et que absolument tous les Français ont deux parents ».

Alors que les chiffres de la démographie sont incontestables, nous sommes une population qui vieillit.

Absolument, le grand âge a toujours existé seulement il est plus tard et il y a plus de gens qu’ils l’atteignent. Si on est un peu intelligent quand on fait de la politique et cela arrive quand même, on peut le présenter positivement.

Quelle est la solution pour sortir de ce système où les personnes âgées sont considérées uniquement comme un coût ?

Il y a d’autres moyens de l’envisager. J’ai essayé de proposer pour les familles qui voulaient garder ou prendre une personne âgée qu’elles puissent bénéficier de facilités financières si elles souhaitaient aménager leur maison par exemple. Il faut trouver des solutions dans l’habitat social avec des appartements plus grands pour ceux qui voudront avoir leur parent avec eux. J’aimerais que l’on réserve les EHPAD, pour qu’ils accueillent vraiment des gens pour lesquels on ne peut pas trouver d’autres solutions.

Préserver la vie des plus âgés au sein de leur communauté ne serait-ce que pour leur santé mentale puisque le taux de suicide au sein des EHPAD est extrêmement important ?

Au cours de la journée mondiale de lutte contre le suicide [ qui a lieu une fois par an le 10 septembre] personne ne dit que les gens qui se suicident le plus ce sont les personnes âgées. Il y a une omerta sur ce drame du grand âge abandonné, emprisonné. Le terme placé s’utilise encore beaucoup et ce mot est lourd de discrimination.

Quelles seraient selon vous les premières mesures d’urgence à prendre ?

Je suis, contrairement à beaucoup, pour que l’EHPAD auquel on ne peut pas échapper soit un lieu de soins. Le grand âge est un handicap et accentue la maladie qui mérite des soignants et les lieux de vie doivent être au maximum des lieux partagés. Par exemple on peut concevoir des résidences étudiants où ces derniers seraient en contact permanent avec des personnes âgées, on éviterait ainsi cette discrimination féroce.


Il y a aussi une autre mesure à prendre, et je me culpabilise parce que je ne l’ai pas fait et que je n’y ai même pas pensé, c’est définir pour les EHPAD commerciaux des critères rigoureux comme pour les hôtels qui justifient le prix demandé. Vous allez dans un hôtel cinq étoiles vous savez que vous aurez une chambre spacieuse. Ce sont des critères obligatoires et cela devrait être exactement pareil pour les EHPAD. On devrait être assuré d’un excellent taux d’encadrement, de l’animation, de la qualité des chambres… Aujourd’hui il n’y a aucun critère, certains établissements mettent du marbre dans l’entrée et c’est à peu près tout. Les EHPAD lucratifs sauront qu’ils seront soumises à des obligations contrôlées. Il sera d’autant plus efficace qu’il correspondra à des critères précis que tout le monde connaîtra.

Et aussi une volonté politique de porter ce type d’engagement ?

C’est une volonté politique. On me dit souvent il faut interdire de faire des EHPAD à but lucratif mais la loi ne le permet pas, on ne peut pas interdire une entreprise privée quelle qu’elle soit.

Après ces révélations vous pensez que la loi sur le grand âge sera remise à l’agenda ?

Elle sera promise en tout cas.

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