LECTURES CONFINÉES

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illustration Unsplash/radu-marcusu

Deux romans lus par Sophie Lizoulet plutôt pertinents en temps de confinement. Un moment propice pour revenir à l’essentiel c’est-à-dire à soi avec le premier roman autobiographique d’Anaïs Vanel et une réflexion sur le rapport au corps féminin vécu par trois générations de femmes qui se côtoient dans les 20 m2 d’un appartement nippon.

  • Tout quitter d’Anais Vanel : un premier roman emprunt d’une douce sagesse “je me sens chez moi là où je me sens bien”

A trente-deux ans, Anaïs décide de laisser derrière elle une vie parisienne très remplie et une carrière d’éditrice de bande dessinées prospère. Qui n’a pas rêvé d’un jour larger les amarres et tout laisser derrière soi ? A travers les chapitres, se déroule le cheminement de l’autrice dans cette nouvelle vie. A la suite de son départ de la capitale, où tous ses biens tenaient dans le coffre de son Berlingo, se retrouver face à elle-même n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît.

On nous apprend à avoir de bonnes notes, à choisir une voie, un métier. A faire des concessions. Mais jamais à choisir un endroit où on se sentirait bien. Vivre dans un endroit où on se sent vivant, c’est créer un environnement propice à faire émerger nos passions profondes. C’est choisir de s’implanter sur un terreau fertile pour y laisser pousser nos rêves.

Ne pas céder à la tentation de combler le temps

L’envie d’écrire des listes de choses à faire est tentante, ne pas prendre le temps d’une vie simple sans routine ni obligations pourrait refaire surface si elle n’y prend garde.

Avoir du temps surprend. On est tenté de le remplir. De l’employer. C’est ce qu’on sait faire. Employer le temps. J’ai parfois le réflexe de vouloir cocher toutes les cases d’une liste. Concrétiser ces projections faites d’une ancienne vie sur une aventure fantasmée. A la place, je m’accorde l’insolence de lézarder au soleil. C’est une activité bénéfique. Des pensées simples se présentent à moi. Il faut apprendre. Il faut redevenir un débutant. Il faut aller dehors. Se mettre en quête d’un terrain de jeux. […]. Il faut s’offrir l’ivresse d’un nouveau monde. Et se laisser conquérir par lui.

Au détour de son enfance, de cette connection à l’être profondément enfoui en elle, Anaïs se surprend et retrouve ses sentations corporelles d’abord à travers la pratique quotidienne du surf, du skate et du yoga. Ses souvenirs de jeux dans le jardin familial, avec son frère, petit à petit vont la projeter dans ce désir de connection à la nature sous toutes ses formes. Cette nature oubliée au profit du bitume et des terrasses de la ville.

Tout quitter de Anaïs Vanel

Une reconnection à soi

Elle fera ses courses au marché, écoutera les vagues et vivra au rythme des marées et des saisons. Le silence ou le bruit laissé par les voitures qui passent en bas de son appartement l’informent autant qu’une montre ou un calendrier. Lentement, elle se connectera à l’être perdu au fond d’elle et retrouvera cette joie enterrée dans une maison depuis longtemps disparue.

Anais Vanel a un style léger et rythmé, grâce à de courts chapitres qui entremêlent passé et présent. C’est une lecture idéale en temps de confinement pour s’évader alors que le temps s’allonge et que la certitude de revoir les vagues cet été parait flou.

  • Seins et Œufs de Mieko Kawakami : un livre provocant sur trois générations de femmes japonaises et leur relation au corps, à la féminité.

Gare de Tokyo, Natsu attend sa sœur Makiko et sa nièce Midoriko. Elles arrivent d’Osaka pour le week-end. C’est la première fois en six ans, depuis le départ de Natsu pour la capitale, que les trois femmes se retrouvent. Natsu sait que Midoriko ne parle plus à sa mère qu’au travers d’un cahier de communication. L’adolescente de douze ans s’est tue après une enième dispute avec Makiko.

Je voudrais vite devenir adulte

Je repense souvent à la dispute que j’ai eue avec maman, pour une bête question d ‘argent, pendant laquelle je lui avais répondu par colère : « Pourquoi tu m’as mise au monde d’abord ? » sur le coup j’ai pensé, zut, c’est pas une chose à dire, ça m’a échappé. Elle était fâchée mais elle n’a rien dit, ça m’a laissé un sale goût dans la bouche. C’est à ce moment que j’ai décidé qu’il valait mieux ne plus parler avec maman, d’abord parce que quand on parle ça tourne tout de suite à la dispute, et c’est à moitié ma faute aussi parce que quand j’ouvre la bouche je lui dis des horreurs alors qu’elle est crevée à cause de son travail.

Non, pas à moitié, c’est cent pour cent de ma faute. Je voudrais vite devenir adulte pour pouvoir travailler et lui apporter de l’argent. Pour l’instant, puisque je ne peux pas encore, je voudrais être gentille avec elle au moins. Mais même ça, je n’y arrive pas. J’en pleure par moments.

Seins et œufs de Mieko Kawakami

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Le corps pour toute obsession

Dans cette ambiance particulière, les trois femmes vont se côtoyer dans les vingt mètres carré de l’appartement de Natsu, ne sachant quoi se dire. Une gêne s’installe. Les non-dits emplissent l’espace. Alors Makiko sort les dépliants publicitaires des cliniques de chirurgie esthétique car son rêve c’est une poitrine opulante et tendue. Cette obsession lui permet de ne pas parler de son travail de serveuse dans un bar un peu minable, qui couvre à peine les dépenses de la vie quotidienne. Elle a quarante ans, le père de sa fille l’a quittée depuis longtemps.

Quand à Natsu, elle est désabusée par une vie faite de routine et de désillusions. Sa vie tokyoïte n’est pas baignée de sérénité, dans cette mégalopole ou tous sont étrangers les uns pour les autres. Midoriko du haut de ses douze ans se demande comment se passera le jour où ses règles apparaîtront. Elle ne veut pas de ces seins qui poussent. Elle ne veut pas d’enfant, tout ce corps la répugne. Mais à qui en parler ? Sa mère certainement pas, elle a des préoccupations opposées !

Le rapport à l’intime tabou japonais

Ce court roman nous emporte dans une réflexion sur la condition féminine de trois générations, au cœur de ce Japon, qui n’aborde pas ce rapport au corps en public. Ce livre transgresse ce tabou et entre dans l’intime. Son auteure Mieko Kawakami est romancière, actrice et musicienne a été élue “Femme de l’année” en 2008 par Vogue Japon.

Midoriko…La vérité… la vérité, bien sûr tout le monde croit que ça existe, tout le monde est sûr, sûr et certain qu’il y a une vérité pour tout. Tout le monde. Mais tu sais, Midoriko, la vérité, ben parfois il n’y en a pas. Parfois, il n’y a pas de vérité du tout.

Tout quitter, Anais Vanel, Flammarion 2019

Seins et Œufs, Mieko Kawakami, Acte Sud, 108 pages, 2012 pour la traduction française.

Retrouvez les conseils de lecture de Sophie Lizoulet sur son groupe Facebook “Lire, le voyage immobile”.

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