LE JOURNAL DE L’ARCHIPEL DES SANS VOIX DONNE LA PAROLE AUX INVISIBLES

L'Archipel des Sans Voix - illustration ©Rawpixel.com
L’Archipel des Sans Voix – illustration ©Rawpixel.com

Lancé le 7 octobre le journal de l’Archipel des Sans Voix résonne comme une démarche participative inédite. Portée par l’association éponyme créée en 2016 par l’entrepreneur Christian Wodli et une trentaine de bénévoles, cet outil médiatique d’un nouveau genre est destiné aux précaires, exclus et pauvres éloignés de l’intérêt des médias traditionnels. Une communauté de près de 10 millions de français. Un focus bienvenu pour rendre compte de la journée du refus de la misère le 17 octobre. Rencontre avec un chef d’entreprise atypique.

Pourquoi vous êtes vous lancé dans ce projet ?

Il y a dix ans j’ai tout perdu. J’avais toujours eu la tête dans le guidon jusqu’à l’âge de 52 ans o% je pensais être arrivé selon les concepts sociétaux en vigueur. Mais tout s’est arrêté. J’ai rebondi grâce à des rencontres. Le coup de main décisif est venu comme ça. Du coup vous avez tendance à tendre la main aussi, c’est comme ça que ca fonctionne. C’est comme la relation entre parents et des enfants vous n’avez pas à les remercier de ce qu’ils font. Les enfants ont à faire pareil un jour et c’est comme ca qu’on fait la chaine.

C’est cette solidarité que vous avez recréée au sein de l’association de l’Archipel des Sans Voix ?

Tout seul on ne s’en sort pas. Le système broie les individus. Je ne m’étais jamais impliqué dans quoi que ce soit. Et je suis tombé sur les 15 propositions défendues par le collectif « Roosevelt » pour élaborer une nouvelle société. Dans ce cadre j’ai fait la connaissance Isabelle Maurer au sein de « Nouvelle donne ». Citoyenne précaire et engagée dans de nombreuses associations, elle vit à Mulhouse et est connue depuis 2013 pour son apostrophe de Jean-François Copé dans « des Paroles et des Actes ». Quelques mois plus tard on claquait la porte. Avec quelques amis qui étaient avec elle dans ce cirque on s’est dit qu’est ce qu’on fait ? On a décidé qu’on ne la lâcherait pas tant qu’elle serait dans la précarité. Isabelle Maurer a écrit un bouquin – « Je ne baisserai plus les yeux » Editions Les Arènes – , et je l’ai fait intervenir dans plusieurs clubs associatifs. Un jour quelqu’un s’est levé en disant pourquoi on n’entend pas plus ces témoignages ? Nous avons répondu à la question un an après en créant l’association « L’Archipel des sans voix ».

 

L’association est un outil qui porte un projet. L’association est un porte voix en aucun cas un porte parole. Le but n’est pas que nous parlions de la précarité, de la pauvreté, le but c’est que les gens concernés en parlent eux-mêmes.

 

Qui sont ces personnes sans voix qu’on n’entend pas ?

On s’est rendu compte que les frontières sont très floues. Les trois mots qui viennent en tout premier, ce sont les précaires, les pauvres et les exclus. Mais on peut être pauvre et pas forcément exclu. Sans toit mais avoir de quoi manger, avoir l’inverse. Tout ça s’interpénètre. La précarité n’est pas seulement monétaire. Certains ont un boulot à la semaine correctement payé mais ne savent pas s’ils en auront le mois suivant. Alors comment se projeter, élever des gamins… On les appelle les sans voix. Ils se reconnaitront.

L’idée de faire un journal est venue tout de suite ?

Non pas du tout. La première idée était d’organiser des conférences publiques. On en a fait une très importante le 6 novembre l’année dernière à Paris au Grand Orient de France sur la précarité. Après on continue comment ? C’était en janvier et quelqu’un nous a dit est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux créer un média pour leur donner la parole ? Deux mois plus en AG on a décidé de le faire et le journal est né en mai.

Qui écrit ?

Le slogan c’est « un journal pour et par les sans voix ». Ils nous ont dit « moi j’en ai marre de parler de ma précarité. Je suis déjà obligé de me foutre à poil tous les trois mois devant les services sociaux pour obtenir le RSA,  j’ai envie de parler d’autre chose. J’écris des poèmes, je sais bricoler … même si je suis dans la merde ». Le journal est là pour que ceux qui n’ont pas accès aux médias puissent exprimer ce qu’ils veulent et pas forcément leur galère. Leur colère, leur coup de gueule, des lettres ouvertes à Emmanuel Macron… Ils ont des talents, des compétences comme tout le monde.

Ce seront des contributeurs réguliers ?

On a lancé le journal samedi dernier. Les contributeurs sont une petite dizaine. C’est une aventure collective. On essaie d’élargir le cercle. Je reçois des témoignages assez forts qu’on va publier. Le but de ce journal est de s’informer, on met en ligne des articles qu’on trouve pertinents sur le sujet, par exemple le rapport de l’Observatoire des inégalités … Et tous les témoignages et bons plans, comme les associations qui marchent bien.

Quel rythme de publication est prévu ?

Pour l’instant tous les jours il y a un nouvel article. Ca dépendra du flux, j’espère qu’il y en aura plusieurs par jour. Ceux qui ne sont pas liés à une date d’actu comme un témoignage restent pérennes. Idéalement un article par jour ce serait bien. On a dédié une chronique aux personnes qui veulent écrire de façon régulière. Il y a en déjà trois, une blogueuse de Nevers qui poste des billets sur sa vie de chômeuse et de précaire avec un regard acerbe et humoristique.  Claire de Colmar  a démarré un blog sur comment prendre soin de soi quand on a pas d’argent. Elle a compris qu’elle n’aura plus jamais d’argent de sa vie, elle a 40 ans. Michel de Reims qui entreprend un tour de France a vélo racontera son périple. Le journal n’est pas un produit fini. On va s’adapter avec Mathias le web master pour adapter la structure par rapport aux sollicitations. Il faut que cet outil fonctionne et s’adapte en permanence aux souhaits de ceux qui vont y contribuer. C’est un peu plus difficile à gérer.

Vous avez eu le soutien d’Edwy Plenel et de Médiapart. C’est important pour vous ?

Ca compte énormément. C’est un tweet de soutien. Pour l’instant ça s’arrête là. Après on verra. Moralement ça fait un plaisir fou qu’un professionnel novateur comme lui nous apporte son soutien.

Pourquoi la parole des précaires ne se libère-t-elle pas à l’instar de ce qui se passe aujourd’hui avec les femmes victimes d‘agression sexuelle ?

je crains qu’on soit loin de l’explosion sociale des exclus. Toute notre ambition est de relier les précaires. Nous avons rencontré plein de gens sur toute la France, des grandes gueules qui ont le courage d’expliquer leur situation en réunion publique, en sachant qu’ils peuvent un jour raté un boulot parce qu’on pourra leur dire mais vous étiez à telle manif ! Ils sont très peu nombreux à oser s’afficher. Quand on est dans la survie c’est la guerre des uns contre les autres. Tout le monde est en compétition depuis la maternelle. Il y a des millions de chômeurs mais chacun est scotché à sa problématique personnelle et rares sont ceux qui sont en capacité morale et intellectuelle d’élargir leur champ de réflexion et d’action au collectif. il y a toujours plus précaire et plus chanceux.

 

La solution ce serait quoi alors ?

L’idée qui fait partie de notre slogan c’est s’informer, s’exprimer et se relier. Samedi une dizaine de ces personnes qui ont publié leur histoire se sont rencontrées pour la première fois. Je pense que ce lien est tissé. Et du coup on évoque la création d’évènements simultanés dans toute la France ça intéressera peut-être un peu plus les médias ? Et nous, association on peut porter ça.

Est ce que rebondir c’est plus compliqué à 50 ans qu’à 20 ou 30 ?

En valeur absolue c’est pas plus compliqué. Mais la société le rend plus compliqué. Il devrait y avoir d’autres solutions de rebonds que le salariat. Peut-être inventer un revenu universel pour les plus de 50 ans ou une pré retraite ou un système de tutorat qui leur permettrait d’intervenir à moindre coût dans les entreprises à condition d’assister un jeune. Que cette expérience accumulée puisse se transmettre dignement pour ceux qui le souhaitent. A 50 ans on a des arguments qu’un jeune n’a pas. Aujourd’hui on continue de casser ce lien intergénérationnel. A 50 ans on est débarrassé des problèmes familiaux, les enfants sont autonomes, toutes les problématiques de se faire une place dans la société, de fonder une famille entre 20 et 40 ans prend de l’énergie. A 50 ans on est donc libre pour autre chose. On sait qui on est, on a plus à le démontrer. Il y a une forme de résilience que l’on a pas avant.

Quelles sont vos prochaines actions ?

On a deux objectifs. Faire connaître le journal aux Sans Voix. Il faut réseauter, le faire connaître aux associations qui n’y sont pas trop favorables parce qu’on marche un peu sur leur plate bande. Mais les petites associations nous intéressent en tant que prescripteurs. On a aussi besoin de se faire connaître par tous ceux qui ne sont pas sans voix. Il faut imposer la présence des précaires dans le débat public. Ne plus les cantonner aux micros-trottoirs, aux fait divers, ou en illustration d’une statistique micro économique. Il faut aller à l’encontre de ces fausses vérités qu’on entend comme supposer qu’avec le RSA on s’en sort bien. C’est une communauté qui représente environ 10 millions de personnes. Et on en parle comme des dégâts collatéraux de la modernité !

 

Contact : archipeldessansvoix@yahoo.fr

 

 

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