KAFALA : L’EXPLOITATION SILENCIEUSE DES FEMMES MIGRANTES AU LIBAN, EXACERBÉE PAR LA GUERRE

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© IDWF

Dans un Liban dévasté par la guerre avec Israël et une crise économique sans précédent, des milliers de femmes migrantes sont piégées par le système de la kafala. Exploitées, privées de salaire et de tout recours juridique, elles subissent des abus dans un contexte de plus en plus chaotique.

Le système de la kafala, particulièrement en vigueur au Liban et dans les pays du Golfe, est souvent qualifié d’ »esclavage moderne ». Ce cadre juridique place les travailleuses domestiques migrantes sous la responsabilité totale de leur employeur, qui détient un pouvoir disproportionné sur tous les aspects de leur vie. Si les abus et les violences subis par ces femmes sont documentés, la guerre civile au Liban et les crises successives dans la région ont exacerbé ces injustices, plongeant des milliers de femmes dans des conditions encore plus précaires.

Le Liban, qui a accueilli plus de 250 000 travailleuses domestiques migrantes principalement venues d’Afrique et d’Asie, se trouve aujourd’hui dans une situation socio-économique désastreuse. Depuis la guerre civile qui a ravagé le pays entre 1975 et 1990, les crises successives ont accru la dépendance des familles libanaises aux travailleuses migrantes. Cependant, avec l’effondrement économique récent et la guerre en Syrie, les conditions de vie de ces femmes, déjà précaires, ont empiré. Les employeurs, confrontés à la montée en flèche de l’inflation et à la dévaluation de la livre libanaise, ne versent plus les salaires, confisquent les passeports et privent les employées de toute liberté.

La crise libanaise a également exacerbé les tensions sociales, rendant ces femmes, déjà isolées, encore plus vulnérables. Selon un article de France Info, de nombreuses travailleuses domestiques, notamment originaires de l’Éthiopie, sont laissées sans ressources, enfermées chez leurs employeurs ou même abandonnées dans la rue. L’ONG This is Lebanon, qui aide ces travailleuses à recouvrer leurs droits, rapporte que des centaines de femmes vivent sans salaire, sans nourriture et sans protection légale​.

Des femmes prisonnières d’un système abusif

Le système de la kafala permet aux employeurs de contrôler entièrement la vie de ces femmes : de leur emploi du temps à leurs interactions sociales, en passant par la gestion de leur salaire et de leurs documents d’identité. Nombreuses sont celles qui se retrouvent piégées, privées de tout recours légal. Beza, une jeune Éthiopienne travaillant à Beyrouth, a vécu un enfer. Régulièrement violée par son employeur, elle a décidé de s’enfuir. Pourtant, elle a été accusée à tort de vol par « sa Madame » et s’est retrouvée emprisonnée pendant sept mois avant d’être expulsée sans avoir pu se défendre. Son histoire témoigne des abus systématiques et de l’impossibilité pour ces femmes de faire valoir leurs droits.

Dans un pays déjà secoué par la guerre, ces femmes sont doublement victimes : d’un système de parrainage abusif et d’un contexte de crise qui les prive de toute sécurité sociale ou légale. En effet, la plupart des travailleuses domestiques au Liban sont exclues du code du travail, ce qui les empêche de porter plainte contre leurs employeurs ou de changer de travail sans leur autorisation. Cet isolement se double souvent d’un enfermement physique dans les maisons où elles travaillent, aggravé par la guerre, qui limite encore plus leur mobilité et leur accès à des réseaux de soutien.

Le rôle de la communauté internationale et des ONG

Face à ces injustices, des ONG locales et internationales, comme This is Lebanon, luttent pour venir en aide aux victimes de la kafala. Elles reçoivent quotidiennement de nombreux signalements concernant des abus, notamment des violences sexuelles, des mauvais traitements, et des privations de liberté. Ces organisations, dont This is Lebanon, sont souvent confrontées à l’impunité des employeurs, qui bénéficient d’une protection tacite au sein du système, rendant presque impossible toute action légale en faveur des travailleuses migrantes.

La corruption et les intérêts des agences de recrutement ajoutent une couche supplémentaire de difficultés, enfermant les travailleuses dans un cycle d’exploitation. Le site d’information New Lines Magazine rapporte Les récits de femmes obligées de supporter des conditions inhumaines, parfois renvoyées dans des situations pires lorsqu’elles tentent de s’échapper. Ils témoignent de l’ampleur du problème et de la complexité de trouver des solutions viables dans le contexte actuel​.

Un appel croissant à l’abolition du système de la kafala

Amnesty International, Human Rights Watch, ainsi que des ONG locales comme This is Lebanon, plaident pour une réforme radicale, affirmant que la simple amélioration des conditions de travail n’est pas suffisante tant que le lien de dépendance total entre l’employeur et la travailleuse persiste. Elles appellent à remplacer la kafala par des systèmes de protection des droits des travailleurs qui respectent les conventions internationales, en particulier en matière de liberté de mouvement, de droit au salaire, et de recours légaux en cas d’abus.

Malgré quelques tentatives de réforme, les changements réels restent insuffisants pour mettre fin à cette forme d’exploitation structurelle. Le Qatar a introduit un salaire minimum non discriminatoire, En Arabie Saoudite, des mesures ont été annoncées comme la suppression de la nécessité pour les travailleurs de demander la permission de leur employeur pour quitter le pays ou changer de travail. Mais l’ONG Human Rights Watch insiste sur la nécessaire surveillance de leur application.

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