ISABELLA LENARDUZZI L’ENTREPRENEUSE MILITANTE DE L’ÉGALITÉ FEMME HOMME

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Isabella_Lenarduzzi ©Ralitza Soultanova

Isabella Lenarduzzi a fait de la question de l’inclusion et de l’égalité femme homme en entreprise sa cause, le moteur de son action. La fille de Domenico Lenarduzzi, « l’homme qui a inventé Erasmus », a toujours été une entrepreneuse dans l’âme sans même le savoir. Jump, sa société européenne à vocation sociale ambitionne de dynamiter les stéréotypes à l’oeuvre dans la sphère professionnelle. De l’activisme à l’entrepreneuriat, cette féministe européenne lauréate de nombreux awards livre une analyse de terrain de ce qui se joue en terme de lutte de pouvoir. Interview.

L’entreprise semble faire partie de votre adn ?

Non ! Ce n’était pas dans mes gènes. Je viens d’une famille où tout le monde était ouvrier ou fonctionnaire. Il n’y avait personne qui entreprenait ou travaillait comme cadre dans une entreprise privée. A l’époque, il n’y avait pas de biographies de femmes qui racontaient leur parcours au sein de l’entreprise. Cela dit, j’ai toujours voulu changer le monde.

Vous vous définissez comme une militante ?

J’ai milité sur le racisme, le droit de vote des étrangers, probablement mes origines italiennes ! Mon père a beaucoup souffert de discriminations et mon prermier combat a été de montrer que cela se perpétuait. D’abord contre les polonais, puis les magrhébins, les migrants … Je me suis occupée de la faim dans le monde, j’organisais des manifs contre les installations de base de missiles en Belgique ,mais je n’arrivais pas à me projeter en tant qu’entrepreneuse.

Qui étaient vos modèles ?

Il y avait pas de « role model » de femmes. Toutes celles qui changeaient le monde étaient des révolutionnaires ou des politiques, Louise Weiss, Olympe de Gouges, Golda Meir… En essayant de faire en sorte que mes actions puissent être financées, je ne me rendais pas compte que j’avais déjà une démarche d’entrepreneuse.

Quel a été le déclic pour monter votre première entreprise ?

Etudiante en économie politique, j’ai gagné un concours et j’ai passé une semaine chez Procter et Gamble. Je ne connaissais rien au marketing et je leur ai demandé comment ils faisaient pour mettre autant d’énergie pour vendre plus et enrichir des actionnaires, vendre quelque chose dont personne n’a besoin ? J’ai rencontré Éric Everard sur le campus de l’Université catholique de Louvain qui voulait savoir pourquoi j’avais été retenue et pas lui. Il m’a demandé de lancer un magazine sur le campus. C’est comme çà que je suis rentrée dans l’entrepreneuriat.

J’ai mis en balance le militantisme et l’entreprise, mon moteur c’est l’impact sociétal.

Vous avez tout juste 30 ans lorsque vous vendez cette entreprise, quel leadership adoptez-vous ?

Je me suis construite comme un homme comme les autres, je savais pas comment être leader. J’ai adopté les codes masculins et mon équipe me détestait. Les gens attendaient de moi que j’ai un comportement féminin, et s’ils me valorisaient en tant que cheffe d’entreprise ils ne m’aimaient pas pour autant.

Il faut savoir ce que ça demande être entrepreneuse. C’est ajouté de la précarité à la précarité surtout pour les femmes. Si je me plante, je vais perdre bien plus que mon salaire, parce que j’ai investi.

Qu’est ce qui vous a amené à changer de posture ?

En 90 je suis un cours de management au féminin, ce que je récuse aujourd’hui, mais à l’époque c’était révolutionnaire ! Une des formatrices m’ouvre à la possibilité de ne pas devoir singer une forme de leadership masculin. Ensuite, sur un plan personnel, je sors d’un mariage toxique et je me dis que si j’ai accepté tout ça alors que j’ai du capital, j’ai eu de la notoriété alors pour les autres femmes ça doit être une catastrophe !

C’est avec cet état d’esprit que nait Jump en 2006 ?

Au départ c’était Jump for active women. Faire de l’empowerment. On pense beaucoup trop que les femmes se coupent les ailes dans leur projet professionnel, mais au fur et a mesure je me suis rendue compte que le problème est celui de notre place spécifique dans la société. Nous sommes toujours les secondes. Jump a évolué avec ma conscience de cette question de l’égalité femme homme.

Est ce que pour y parvenir vous soutenez la politique des quotas ?

Les quotas sont un médicament pour une société malade. Quand on choisit une femme non compétente pour un poste je rétorque que ce n’est pas le problème du quota, mais de ceux qui l’ont choisi et se sont trompés. Quand les femmes sont la moitié de l’humanité, il y a forcément des femmes compétentes ! Pour les aspects de la diversité c’est l’accès aux marchés du travail qui est en jeu, par contre pour l’égalité c’et le partage du pouvoir qui rencontre beaucoup plus de résistance car c’est une menace pour l’entre soi de certains hommes.

Quand on est patronne d’entreprise on est pas traité par son conseil d’administration de la même manière qu’un homme. Les femmes n’ont jamais droit à l’erreur et elles sont très vite sanctionnées.

Comment Jump opère ce changement au sein de l’entreprise ?

Il faut un véritable changement de culture d’entreprise en commençant par le top de l’entreprise. Chez Jump on prend la porte qu’on nous ouvre. Je me souviens d’une marque de voitures qui voulait davantage vendre aux femmes alors qu’ils ne voulaient rien entrendre sur l’égalité professionnelle. Il fallait que l’entreprise observe de quelle manière sont traitées les clientes chez les concessionnaires ainsi que leur salariées. Si vous travaillez sur cette question, il faut que ça soit cohérent au sein de l’entreprise. Il faut commencer par une véritable inclusion. C’est un levier incroyable.

Quelles actions prioritaires mettez-vous en place au sein de l’entreprise ?

Il faut d’abord mesurer, si on ne mesure pas on ne peut pas évaluer, fixer des objectifs. Mesurer, c’est savoir à quel niveau de promotion, d’âge se situent les femmes dans l’entreprise. C’est aussi mesurer la différence de perception des opportunités de carrière entre les hommes et les femmes. On fait des enquêtes dans les entreprises qui montrent que les femmes ont un sentiment d’engagement moindre que celui des hommes. En particulier quand elles sont dans l’entreprise depuis plus de 10 ans. Et les sociétés continuent à se demander pourquoi les femmes ne se sentent pas davantage impliquées ! Mais ce n’est pas le problème des femmes, c’est celui de l’entreprise qui envoie ce message.

Vous intervenez en France et en Belgique, quelles différences constatez-vous sur les politiques gouvernementales d’égalité ?

Le gouvernement français est celui qui fait le plus pour l’égalité entre les hommes et les femmes, pays nordiques inclus. Alors oui, il n’y a pas assez de budget, mais c’est fait de facon stratégique. En Belgique, la Vice première ministre avait réussi a faire voter une loi entre deux législatures sur les quotas. Mais la coalitaion a changé et il n’y aucun contrôle sur l’application de cette loi.

Vous ne semblez pas impressionnée par la montée des femmes au sein des gouvernements en Europe ?

Quand les femmes travaillent dans les pays nordiques, on les retrouve dans le domaine public parce qu’on y gagne moins bien sa vie que dans le privé. A talent égal, il vaut beaucoup mieux être dirigeant dans une entreprise que ministre dans un gouvernement. On est très contrôlé et il n’y a pas ce prestige attaché à la fonction que l’on connait en France. On est au service du citoyen.

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