BIBLIOTHÈQUE IDÉALE : « LE PRIX »

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Lisa Meitner et Otto Hahn

Stockholm juillet 1946, Otto Hahn attend, dans sa suite du Grand Hotel, l’heure où il recevra le prix Nobel de chimie, à quelques pas de là. Deux longues années sont passées depuis l’annonce de l’attribution du prix, lors de son emprisonnement en Angleterre en 1944. Son épouse se repose dans la chambre, il répète son discours quand on lui annonce une visite. C’est Lise Meitner.Ainsi débute le roman de Cyril Gely.

Dans ce huit-clos intense, qui se lit comme un thriller haletant, la tension monte de page en page. Lise n’est pas juste venue prendre des nouvelles de son ancien collègue et ami. Trente ans passés cote-à-cote dans un laboratoire de Berlin à chercher inlassablement le secret de la fission nucléaire et pas une fois il ne la mentionnera dans l’article qui paraîtra cinq mois après son départ de l’Allemagne nazie en 1941. Elle, la femme, la juive qui aura tout renié pour accéder à un poste dans une université exclusivement réservée aux hommes. Elle acceptera de travailler sans être payée, elle renoncera à sa religion pour être tolérée dans le saint des saints.

Le Prix roman de Cyril Gely
Le Prix roman de Cyril Gely

Jamais elle ne se mariera, chaque minute de sa vie est dédiée à la recherche. Tous les deux savent l’importance de Lise dans cette découverte. Hahn, lui écrira de Berlin après son départ pour lui demander des conseils afin de terminer leurs travaux et d’aboutir à la découverte qui mènera à la bombe atomique. Mais rien, il ne dira rien de Lise, pas un mot au bas de l’article, pas un mot dans son discours. Il l’a effacée. Elle le sait. Elle vient le lui dire. L’affrontement est impitoyable, les mots sont autant d’armes qui fusent dans ce salon enfumé. Cyril Gely nous entraine dans un tourbillon émotionnel dont le lecteur ne ressort pas indemne. L’auteur de Diplomatie, réédite la prouesse, impossible de lâcher le livre.

Les femmes et le Nobel, loin d’être une histoire d’amour…

L’affaire Lise Meitner n’est pas unique. D’autres femmes ont été spoilées du prix Nobel. Miléva Einstein a vécu le même sort au coté de son mari Albert. Tout deux travaillaient à la table du salon, collés, des heures durant sur leurs recherches. Quand paraîtra l’article d’Albert en 1905, ils ne le co-signeront pas. Pourtant c’est durant leur mariage que toute la théorie de la relativité sera établie. Miléva ne lâchera pas Albert même après leur divorce et lorsqu’il recevra le prix, il lui versera la totalité de la somme. Un aveu?

A eux trois, ils formaient un atome. Le noyau était composé d’Otto et de Lise, l’un proton, l’autre neutron. Edith était l’électron qui tournait autour – qui tournait sans jamais espérer s’en approcher un jour.

Extrait – « Le Prix »

Le Nobel serait-il misogyne? 51 femmes nobélisées pour 842 hommes. Les raisons invoquées vont de l’inaccessibilité aux domaines scientifiques par les femmes au début du XXème siècle, au contexte de la guerre froide qui exalte les valeurs machistes, au manque de cooptation entre femmes et enfin à la difficulté de cumuler vie de famille et recherche. Les disciplines ou les femmes sont le plus représentées restent la paix et la littérature. Pour palier les controverses, les membres du Nobel revoient les biais dont ils sont accusés dans les années 1990, ce qui aboutit à une répartition plus équitable.

A l’initiative des lauréates Shirin Ebadi et Jody Williams, est créé le “Nobel Women’s Initiative” en 2006, afin d’effectuer des conférences communes. La journaliste Annick Cojean écrira “pour ces femmes le prix est un commencement et non l’aboutissement de leur action, montrant que le monde leur faisait confiance pour poursuivre leur travail de pacifisme”. Aucune initiative comparable n’existe du côté masculin.

A lire et regarder sur le sujet:

Le prix de Cyril Gely, Albin Michel, 2019, 220 pages
Le cas Éduard Einstein, Laurent Seksik, Flammarion, 2013, 207 pages
Le cas Éduard Einstein, Théâtre de la Comédie des Champs Elysées du 2 février au 12 mai 2019 The Wife, un film de Bjorn E. Lurge, avec Glenn Close et Jonathan Pryce, 2018