Cofondatrice de l’Académie des arts oratoires de Toulouse, Murielle Cozette fait entendre la voix des femmes grâce à ses masterclass. Elle développe un programme ambitieux tout particulièrement plébiscité par les femmes en cette période de crise. Car la prise de parole demeure plus que jamais un instrument de pouvoir essentiellement maitrisé par les hommes. Interview.
Pourquoi les femmes sont si peu à l’aise avec la prise de parole ?
C’est un manque historique. L’art oratoire est enseigné aux hommes depuis 2500 ans mais les femmes n’ont pas eu le droit de prendre la parole en public jusqu’au début du 20ème siècle. Quand Jeanne Chauvin, la première femme avocate a passé l’examen du barreau en 1901, elle a du faire face à un tir de barrage monumental. On pensait qu’elle utiliserait ses charmes sur les juges, qu’elle ne savait pas plaider à la latine … Prendre la parole en public pour une femme est récent. Il y a un héritage qui explique ce manque de confiance car nous n’avons pas la même histoire avec la parole.
Comment les femmes appréhendent la prise de parole ?
C’est une crainte très répandue, chez les hommes comme chez les femmes. Statistiquement, 75% des gens ont peur de parler en public ! JMais je n’ai jamais entendu un seul homme me dire je n’arrive pas à parler de moi. Les femmes mentionnent plus souvent un manque de confiance en elles, et se sentent souvent moins « légitimes » pour parler. En conséquence, elles se taisent plus souvent. On les entend beaucoup moins (une étude récente de l’INA montre qu’elles parlent deux fois moins que les hommes dans les principaux médias). Et donc, on les voit moins. Le silence historique dont elles sont les héritières pèse encore lourd…
L’art oratoire est par définition un art de la singularité. Il est là pour révéler le style oratoire d’une personne qui n’est pas celui du voisin. On vit dans une époque où la parole est assez normée.
Vous vous adressez à toutes les femmes ?
Nous répondons aux enjeux qui se posent aux femmes où qu’elles soient quelle que soit leur situation socio professionnelle. Même une femme très diplômée dans une grande entreprise va avoir beaucoup moins confiance en elle qu’un homme au même poste. Quand elle s’exprime, on ne va pas forcément entendre la compétence, la crédibilité que l’on va repérer chez un homme. Quand elles parlent, on filtre leur parole.
Pourquoi cet enjeu de la prise de parole est si important pour vous ?
C’est d’abord un parcours personnel. j’ai été bègue très longtemps et très tôt j’ai été sensible à ce que je renvoyais à l’oral. J’en saisis le privilège parce que pendant des années je n’ai pas pu le faire. J’ai eu une carrière d’enseignante chercheur, j’ai intégré Sciences Po Paris et au Royaume Uni le Kings College et la London School of Economics qui sont des institutions d’excellence qui mettent l’accent sur l’art oratoire. Dans ce système, l’oral tient une place centrale.
J’ai connu de longues périodes de silence et je suis particulièrement sensible au silence. Je veux faire entendre la parole de ceux qu’on entend pas.
C’est de cette façon que vous avez acquis cette compétence oratoire ?
Je ne l’ai jamais perçu comme une compétence. Mais lorsque j’ai du interrompre ma carrière pour raison personnelle grave – mon mari a été diagnostiqué pour une maladie incurable -, je suis devenue aidante à temps plein et je me suis demandée ce que j’allais faire du reste de ma vie. Une femme qui devais faire un pitch m’a demandé un coup de main. Je l’ai accompagnée pro bono de son incubateur au pitch Aviva. Mais c’est la première qui m’a dit que c’était une vraie compétence. J’ai alors envisager de créer une académie, un organisme de formation avec d’autres spécialistes à 360 ° de la parole. Une équipe féminine qui comprend une hypno thérapeute, une avocate pénaliste, une coach spécialiste du leadership des femmes.
En quoi consiste l’art oratoire que vous transmettez ?
C’est beaucoup plus qu’une technique d’expression scénique. On n’apprend pas aux femmes à savoir se vendre, je n’aime pas cette expression. Je préfère à savoir se dire, se raconter de facon impactante. C’est un cercle vertueux. L’art oratoire permet aussi de prendre profondément confiance en soi quand on trouve sa voix, quand on sait la projeter, être au clair avec ses idées et le message que l’on transmet. Ce qui permet de travailler aussi l’estime de soi.
Comment avez vous conçu ce programme ?
L’immense majorité de nos clients sont des femmes. Pendant le confinement je me suis identifiée auprès des femmes seniors qui recherchent un emploi. On a offrert 6 diagnostics oratoires par mois avec des entretiens sur le rapport de chaque personne à la parole publique. On fait un point sur leur compétence oratoire, puis on récapitule les forces, les points d’appui et les axes d’amélioration.. C’est un premier pas.
Au cours du confinement vous avez digitalisé votre offre
La masterclass a été initialement conçue pour les femmes qui souhaitent entreprendre. Elle comprend quelques fondamentaux de l’art oratoire sur la posture, le travail de la voix. C’est un format court qui donne des clés hyper pratiques pour gagner en impact quand on parle de soi. il y a des exercices à faire car c’est une pratique. Si vous n’avez pas de compétence pour parler en public, nous proposons un format de 4/5 sessions de 1H30 et un suivi. Nous commençons par les freins rencontrés par des femmes, nous travaillons la préparation de la prise de parole. C’est une phase essentielle. Puis nous affinons et structurons le contenu de façon persuasive avant de terminer par la forme avec la posture du corps et la voix.
La masterclass est une démonstration. Je montre ce qu’est une posture oratoire, comment on l’acquiert, comment on la maintient. En visio conférence avec des femmes seniors, spontanément elles se sont levées et l’ont fait avec moi. Il y a moins d’inhibition qu’en présentiel.
Pourquoi la voix des femmes a toujours été stigmatisée ?
il y a énormément de préjugés sur la voix aigüe des femmes. On considère toujours qu’elles piaillent, qu’elles chouinent, qu’elles râlent ! Ca fait partie des enjeux, d’un côté il faut que les femmes prennent la parole et le style de communication qui fonctionne c’est le style assertif, celui des hommes enseigné par l’art oratoire. Mais quand les femmes l’adoptent elles passent pour agressives. Des femmes disent je ne veux pas parler comme ça parce que ça ne me ressemble pas, mais si je ne le fais pas je n’arrive pas à me faire entendre.
La maitrise de l’art oratoire permet de redonner de la visibilité aux femmes ?
Nous sommes engagées pour réduire ce que Claire Mason, une entrepreneure anglaise, a appelé très justement le « gender say gap », c’est-à-dire l’écart de parole entre les hommes et les femmes dans la sphère publique (et notamment dans les entreprises). Les femmes parlent moins, alors qu’elles sont très souvent en position d’expertes dans leur domaine. Cet écart de parole est problématique parce qu’il mène à une invisibilité des femmes. Le contexte actuel présente des enjeux forts pour les femmes. Il y avait une prise de parole collective qui était en train de se faire et il ne faut pas qu’elle se perde. Et être entendu c’est être vu, les femmes seniors sont totalement invisibles.