NICOLE AMELINE : LES DROITS DES FEMMES PASSENT PAR L’ÉRADICATION DE LA VIOLENCE ET L’AUTONOMIE

Nicole Ameline présidente du CEDAW
Nicole Ameline présidente du CEDAW

A l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes nous avons demandé à Nicole Ameline Présidente du Comité des Nations Unies pour l’Elimination de la Discrimination à l’égard des Femmes (CEDAW en anglais) de dresser un état des lieux de cette question. Son expertise nourrie par son engagement international renvoie à une lutte globale formulée dans l’objectif n°5 du vaste programme de développement durable défini par les Nations Unies : Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles. Un challenge universel alors qu’Emmanuel Macron annonce ce jour les mesures phare de son plan contre les violences faites aux femmes.  Avant d’embarquer pour le Caire, l’ex ministre de la parité et de l’égalité professionnelle (2002-2005) a répondu à nos questions. Interview.

 

Quelle évolution observez vous en matière d’égalité homme femme ?

Il y a des avancées. Mais le défi consiste dans l’application de l’égalité dans la vie quotidienne. Si l’arsenal législatif est complet en France les questions d’inégalités salariales, d’accès des femmes à la responsabilité et à la décision ne sont pas totalement remplies. Nous avons lancé aux Nations-Unies un nouveau programme intitulé « les nouveaux objectifs du développement durable ». Une approche constructive qui fait de l’égalité homme femme une condition substantielle du développement durable. C’est une véritable stratégie qui permet d’englober à la fois la lutte contre les discriminations et les violences mais également de travailler sur la notion d’empowerment, c’est à dire la prise de décision. Il faut avoir à l’esprit ces deux aspects de l’équilibre des droits des femmes. L’éradication de la violence et leur autonomie. La discrimination entraine une exclusion des femmes de la vie politique et publique et il est très important de leur redonner toute leur place.

La libération de la parole des femmes est aujourd’hui la révélation d’une prise de conscience. Sur ce terrain qu’est ce qu’il faut bâtir ?

La libération de la parole est une étape essentielle. Elle est aujourd’hui internationale et c’est inédit. Cela signifie que ca pourrait devenir une forme de réflexe qui serait souhaitable. Pour que ça ne reste pas quelque chose d’épisodique il faut travailler sur la culture, les médias, l’environnement. Par exemple la pornographie devient de plus en plus présente dans toutes les sociétés. C’est presque une injonction sociale qui conduit à des comportements extrêmement dangereux et parfois suicidaire notamment pour les jeunes adolescents. Il faut être très attentif à l’importance des stéréotypes pour les femmes. L’éducation a un rôle à jouer dans la famille, à l’école. Il faut apprendre aux jeunes filles à dire non et pas seulement à être douce et charmante, ce qui a longtemps été un principe éducatif pour les filles.

De part votre position d’observatrice internationale quelle part joue la dimension culturelle ? Autrement dit y a t-il une universalité de ces violences ?

Le monde s’est construit sur une forme de discrimination centrale entre les hommes et les femmes. Selon les pays cette discrimination est fondée soit sur des structures sociales construites, par exemple une femme est faite pour rester à la maison ou sur des structures religieuses créant des comportements très stéréotypés. Elle peut être aussi liée simplement à des traditions. Dans certains pays l’adultère est un critère qui peut entrainer la peine de mort pour des femmes. Il y a à la fois une universalité de la violence et une forme de relativisme sur l’échelle des stéréotypes qui illustrent cette violence. Au sein du comité CEDAW nous allons faire une nouvelle recommandation sur ces stéréotypes qui sont des représentations sociales des rôles féminins et masculins dans toutes les sociétés et qui construisent un environnement très inégalitaire.

 On a l’impression qu’il existe un arsenal juridique dans les sociétés occidentales qui peine à condamner les auteurs de ces violences. Est ce que seule l’éducation pourra y mettre un terme ?

Il y a des paradoxes persistants dans les pays nordiques qui sont à l’avant garde du monde par exemple sur l’égalité politique mais qui ont un taux de violence encore très élevé. Ce qui veut dire que l’empowerment dont je parlais n’est pas toujours la seule réponse. Il faut que la justice soit exemplaire. Lorsque j’étais ministre j’avais demandé aux juges d’en faire une priorité. Car le coût de la violence n’est pas seulement éthique, démocratique il est aussi social, économique et surtout politique. Aujourd’hui la question de l’application de la loi est essentielle. Il y a longtemps eu une violence légale puisque pendant longtemps le droit n’était pas le même pour les hommes et les femmes. Maintenant le droit est égalitaire. Il faut que nous allions vers la responsabilité de chacun. On a lancé une campagne qui s’appelle « respect me ». Le respect doit redevenir une valeur centrale, de soi, de l’autre. Au travers du harcèlement sur internet on voit bien qu’il y a un manque total de respect de l’autre. Il faut repartir des valeurs fondamentales qui doivent imprégner la culture, l’éducation et les médias.

La décision d’acquittement d’un violeur sur une enfant de 11 ans pose aujourd’hui la question d’un seuil d’âge en-dessous duquel un enfant est présumé ne pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un majeur. Qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’il est nécessaire de renforcer le dispositif juridique dans ce cadre. Alors 13 ans est ce que c’est un bon âge ? C’est un âge qui a souvent été retenu dans les affaires familiales. Il faut condamner tout acte en dessous de cet âge. J’ai été extrêmement choquée à propos de cette affaire de viol qui pour moi était caractérisé. Supposer un consentement à cet âge alors que l’on voit des femmes adultes parfois être en état de sidération au point de ne pas pouvoir avoir de réaction. Je souhaiterais de plus en plus me consacrer aux adolescentes qui sont dans une fragilité constitutionnelle. Lorsque j’étais députée du Calvados, une jeune fille s’est jetée sous un train à Lisieux de peur d’affronter son environnement social après qu’une photo d’elle dénudée ait été publiée sur les réseaux sociaux.

 

La France doit redonner l’exemple en matière d’égalité. il ne faut pas considérer que le féminisme soit une parenthèse de l’histoire. Le progrès n’est pas inéluctable sur ces sujets. C’est un sujet politique universel et c’est la clé du développement durable et sans doute de la paix.

 

Aujourd’hui Make.org lance une consultation directement auprès des internautes sur la question des violences. Est ce que vous considérez que la prise de pouvoir citoyenne est une bonne chose ?

Oui elle est excellente. Il y a une nécessité absolue pour que la société civile se mobilise. C’est le cas aussi au niveau mondial. Avec les réseaux sociaux aujourd’hui c’est une force réelle. La prise de conscience c’est aussi la prise de responsabilité. Ca ne peut pas seulement être la responsabilité des pouvoirs publics. Cette mobilisation est nécessaire.

Aux Nations-Unis vous vous attelez à considérer ces violences sous un angle global ?

La violence est un « continum ». Ce n’est pas quelque chose qui apparaît comme ça. Pour cette raison notre convention couvre l’ensemble des droits. Cela va des violences « basiques » jusqu’aux droits économiques et sociaux, aux questions de contraception et de statut familial parce que c’est la que se place le curseur des différences. Il faut agir sur tous les domaines. Imaginer que nous éradiquions toutes les violences. Les femmes seraient-elles pour autant en capacité de diriger un pays ? Seraient-elles suffisamment nombreuses dans les parlements nationaux alors qu’elles ne sont qu’entre 20 et 24% aujourd’hui ? Grace aux quotas nous avons des femmes dans les instances politiques mais sont elles pour autant les vrais décideurs ? Pas nécessairement. Dans les boards des entreprises nous avons imposé dans les conseils d’administration 40% de femmes mais les dirigeants du CAC40 sont essentiellement masculins. L’éradication de la violence est la base d’une société démocratique mais ça ne suffit pas. Notre convention répond à l’ensemble des exigences qui permet une égalité globale.

 

Il faut se construire et décider qui ont est d’abord. Ce n’est pas un comportement égoïste mais reconnaitre la femme comme un être autonome avec le droit de disposer de son corps et de décider de sa vie.

 

Après les campagnes sur les réseaux sociaux comment faire pour que les femmes lèvent les freins psychologiques qui les empêchent de demander justice auprès des tribunaux ?

La clé est d’abord et avant tout chez les femmes. Même si de plus en plus d’hommes se saisissent de ces questions. Si les femmes ne sentent pas cette révolution nécessaire culturellement parlant avec le pouvoir de dire oui ou de dire non, si elles n’envisagent leur vie que par le biais d’un couple au sens où elles ne pourraient pas exister sans l’autre, si elles se disent que leur carrière est moins importante que celle d’un homme alors toutes ces idées encore très persistantes freinent l’émancipation intellectuelle. La liberté précède l’égalité. Les femmes doivent se sentir libres après elles peuvent se marier ou pas mais faire ce qu’elles veulent précisément. Mais il ne faut pas céder à la norme et aux injonctions sociales.

 

Propos recueillis par Sophie Dancourt

 

 

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