« LIVRES AGITÉS » : LA MAISON D’ÉDITION DÉDIÉE AUX PRIMO ROMANCIÈRES

Jeanne Thieriet et Vanessa Caffin

Vanessa Caffin et Jeanne Thiriet toutes deux écrivaines viennent de fonder « Livres agités » la première maison d’édition totalement dédiée aux femmes et à leurs premiers romans. Une initiative engagée pour faire résonner les mots des femmes trop souvent invisibilisées dans un secteur toujours très masculin. J’ai Piscine avec Simone a conversé avec Jeanne Thiriet qui a dirigé la rédaction de magazines notamment au sein des groupes Mondadori et Emap Media et exerce toujours sa plume comme critique culturelle.

Quel a été le moteur de cette création ?

C’est venu d’une double réflexion. Je voulais créer une maison d’édition depuis longtemps. Mais en faisant des études de marché, je me suis rendu compte qu’il n’y avait que 33% de femmes publiées contre 67% d’hommes. Donc malgré tout, l’édition reste un secteur extrêmement patriarcal bien qu’il emploie beaucoup de femmes. Puis par expérience personnelle, après avoir écrit un premier roman, j’ai pris conscience que c’était un vrai chemin de croix pour se faire remarquer et éditer. Car, quand on est édité par une maison digne de ce nom, on ne parvient pas du tout à émerger dans les librairies et les médias.

Vous vous définissez comme une maison d’édition engagée ?

Souvent il y a un petit coup de lumière sur les nouveaux romans en septembre pour la rentrée littéraire mais c’est tout. Donc « femme et premier roman » c’est la double-peine ! Nous voulons mettre en avant des nouvelles voix féminines. À ce premier constat est venu se mêler une autre réflexion. La littérature a toujours été le lieu d’imagination d’un monde nouveau et de fait il n’y a pas de raison que les femmes n’aient pas voix au chapitre aussi de ce point de vue là. En plus de vouloir produire de nouvelles plumes, il y a aussi l’espoir que l’imagination, l’utopie de ce monde pourrait, après ce qu’on avait vécu, prendre sa source du côté des femmes.

Quelle est votre vision du métier d’éditrice ?

Avec Vanessa Caffin, journaliste, écrivaine et réalisatrice, ma cofondatrice rencontrée à l’école d’écriture Les Mots, nous souhaitons accompagner réellement nos autrices. Le monde de l’édition est une industrie, et nous voulons rester des artisans, mettre la main à la pâte et consacrer une bonne partie de notre énergie d’éditrices pour les mettre en valeur, ce que ne font pas les autres maisons d’édition. Elles sont prises dans un étau économique, où il faut privilégier des auteurs à grosse vente pour lesquels il faut mettre beaucoup d’argent et de ce fait il reste peu pour accompagner les autres. Et aujourd’hui, des auteurs qui sont à leur 4ème ou 5ème roman sont mal accompagnés.

Comment allez vous travailler cet «artisanat » ?

La première mission c’est de repérer des voix porteuses, de nouvelles écritures et regards. Le premier boulot c’est un boulot de repérage. Ensuite, comme ce sont des premiers romans, on va être des éditrices accompagnatrices, y compris techniquement c’est à dire dans le travail des arches narratifs et des personnages. Mais dans un premier temps, il faut rester en retrait. Laisser l’autrice maitre de son récit. Les écrivains ont un langage, un imaginaire totalement personnel et il faut leur laisser la liberté de le nettoyer. Notre boulot va être d’élaguer les styles, les tournures.

Nous ne sommes pas des éditeurs de commande. Pour en avoir lu beaucoup, j’ai été critique (littéraire), je crois que la même histoire peut être racontée par dix personnes différentes et vous n’aurez pas la même couleur, le même ton ou la même issue. Il faut laisser leurs petites libertés aux écrivains pour se réaliser à travers l’écriture.

Quels romans souhaitez-vous éditer ?

Pour l’instant ça n’est que des romans et en plus, des romans résolument tournés vers l’avenir. Parce qu’il y a quelque chose dans l’époque qui tourne au bilan, et moi je veux bien le bilan mais je veux un regard novateur, qui porte vers l’avenir. Je vais prioriser des récits utopiques, voire impliqués dans du contrat social (H/F ou écologique..). J’aime la littérature qui fait avancer le monde, celle du 20e siècle, avec Malraux, Sartre, Simone de Beauvoir pour la liberté des hommes. On cherche une littérature engagée.

Le confinement a été un accélérateur d’écriture ?

Le confinement a généré une rhétorique de l’enfermement. Et une production supplémentaire de manuscrits de 40%. Ce qui est traité, c’est la thématique de l’intime, de la grossesse ou de la maternité, du travail chez les jeunes femmes. Il y a quelques récits sur l’immigration ou sur les réfugiés. Il y a un genre littéraire qui va trouver ses lecteurs à cause de la pandémie qui est la littérature de voyage. Nous allons avoir besoin que la littérature fasse voyager au sens strict. Il va y avoir vraisemblablement via la littérature et internet un nouveau rapport au voyage. La littérature « utopique » est importante parce qu’elle vous emmène ailleurs, et il va vraisemblablement y avoir une lassitude de celle qui vous emmène chez votre voisine de palier. Parce que vous y êtes allé beaucoup là.

Quel est votre calendrier pour cette première année ?

Nous sommes modestes pour notre première année. Nous travaillons sur deux livres qui verront le jour à la rentrée 2022. C’est un métier où il faut être patient avec un retour sur investissement qui est parfois long, un an ou plus. Il y a un encombrement des librairies et c’est difficile de trouver des distributeurs intéressés quand vous publiez peu de livres dans l’année.

A qui avez vous fait appel au sein de votre comité éditorial ?

On constitue le comité éditorial avec des membres de notre entourage professionnel passé ou proche, soit avec des contacts de longue date. Je souhaitais que le comité soit également composé de grands lecteurs avec des responsabilités dans la vie. On voulait des femmes engagées, des féministes comme Charlotte Milandri qui a créé une très grosse communauté littéraire qui s’appelle les 68 premières fois. Des personnes qui sont soit engagées dans la vie littéraire et/ou citoyenne.

Votre adn est résolument positif ?

Il y a plein de façons d’écrire et plein de raisons de le faire. Il y a des gens qui veulent écrire des essais qui permettent à des gens de prendre la parole sur des horreurs qu’elles ont vécues, c’est pas pour nous. On tourne vraiment le dos à tout ce qui est dystopie, fin du monde. Sauf s’il y a des racines réelles, comme Tchernobyl où du coup ce sera presque journalistique, je crois qu’on a eu notre dose !

Envie d’envoyer votre manuscrit ? livresagites@livresagites.com

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Comments · 2

  1. Bonjour,
    J’ai écrit un roman « Mal de mère » grâce, entre autre, aux ateliers d’écritures de Vanessa Caffin.
    Est-ce que je pourrais vous l’envoyer pour que vous me donniez votre opinion ?
    Bien cordialement,
    Marie-Françoise Rabin

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