LA MÉNOPAUSE, LE DERNIER TABOU ?

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illustratio n© martins-zemlickis/Unsplash

En France, six millions de femmes sont ménopausées. Une large population « abandonnée » par la médecine selon la gynécologue Brigitte Letombe, membre du comité scientifique du Groupe d’Etude sur la Ménopause et le Vieillissement Hormonal (GEMVI).

Parler de sa ménopause demeure tabou. Les femmes qui vivent cette ultime transformation physiologique ne sont toujours pas écoutées. « Les médecins généralistes sont trop peu formés par choix ou par manque de temps et les gynécologues obstétriciens sont débordés par les activités chirurgicales, échographiques et obstétricales ». Spécialiste de la ménopause, Brigitte Letombe analyse ce désintérêt à l’aune de l’arrêt de la formation en gynécologie médicale, discipline qui prend en charge la femme notamment au cours de la ménopause. Cette spécialisation a tout simplement été effacée du cursus universitaire en 1986. »La gynécologie médicale n’existant pas en dehors de la France, au nom de l’harmonisation européenne, elle devait disparaitre ».

Une pénurie de consultations pour les femmes ménopausées

Une décision peu visionnaire qui mobilise 300 000 pétitionnaires à la fin des années 90. En 2003, un Diplôme d’Etudes Spécialisées de gynécologie médicale refait surface après une interruption de 17 ans. « Aujourd’hui on retrouve un tissu gynécologique médical avec 90 postes sur tout le territoire, mais avec des gynécologues beaucoup plus jeunes que leurs patientes qui ne sont pas encore très à l’écoute ». Maud Petit, députée du Val-de-Marne constate dans Le Quotidien du Médecin : « Dans 6 départements métropolitains (…) la pénurie se ressent : il faut des mois pour un rendez-vous, les consultations sont parfois éloignées du domicile, alors les femmes renoncent à se soigner ». Idem sur le territoire, les femmes qui entrent dans cette période n’ont souvent d’autres choix que l’automédication. « Elles achètent de la phytotéraphie. Elles font tout ce qui est alternatif et quand vraiment elles ne vont pas bien, elles essaient de trouver un gynéco qui peut les prendre en charge » explique Brigitte Letombe.

L’étude qui crée la défiance sur le traitement hormonal

Se pose alors la question du Traitement Hormonal de la Ménopause qui continue à être rejeté par certains médecins et les femmes elles-mêmes. En cause l’étude américaine Women Health Initiative de 2002. Cette première étude à grande échelle comparait le Traitement hormonal à un placebo. « Elle a montré que le traitement hormonal augmentait le risque de phlébites, des accidents vasculaires cérébraux et des infarctus du myocarde alors qu’on pensait l’inverse ». Seule étude randomisée sur le sujet, elle avait pris en compte des femmes de 63 ans en moyenne qui avaient plus de dix ans de ménopause installée. Condition indispensable, pour que l’on puisse utiliser le placebo. Cela n’aurait pas fonctionner sur des femmes en début de ménopause sujettes aux bouffées de chaleur. « Ce n’était pas la bonne population et ce n’était pas le bon traitement » souligne la gynécologue.

L’attention des médias autour de la publication des premiers résultats de WHI en 2002 a suscité la crainte et la confusion quant à l’utilisation de l’hormonothérapie après la ménopause. Cela a conduit à une réduction spectaculaire des ordonnances de HT aux États-Unis et dans le monde. Bien qu’en 2002, les résultats concernaient toutes les femmes recevant l’HT, des études ultérieures de la Women’s Health Initiative (WHI) et d’autres ont clairement montré que les femmes plus jeunes et celles proches de la ménopause présentaient un rapport bénéfice / risque très avantageux.

The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism « Where Are We 10 Years After the Women’s Health Initiative?

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Se préparer à cette nouvelle tranche de vie

La peur du traitement hormonal conjuguée à la disparition de la gynécologie médicale laisse les femmes ménopausées à l’abandon selon Brigitte Letombe. Avec pour conséquence une population de femmes se débrouillant comme elles peuvent avec leurs symptômes. « 50% des femmes en début de ménopause souffrent franchement de bouffées de chaleur, de troubles sexuels et de l’humeur ». Plus alarmant, les femmes ménopausées au début des années 2000 présenteraient des fractures graves faute de prise en charge hormonale. Brigitte Letombe insiste sur l’importance de préparer les femmes à vivre cette période.  » Les deux, trois années qui précèdent la ménopause et l’année qui suit sont les moments les plus difficiles à passer ». Ce passage est d’autant plus mal vécu dans une société qui célèbre le jeunisme et stigmatise les femmes qui vieillissent.

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La consultation de la cinquantaine

La gynécologue regrette que cette tranche de vie soit tabou à un moment où les femmes sont enfin libres. « On est loin du vieillissement ! on a en moyenne 35 ans de vie encore à l’installation de sa ménopause ». Il faudrait un « vent sociétal » qui brise ce tabou à l’instar des règles devenu un sujet partagé sur les réseaux sociaux. Pour libérer la parole, le GEMVI a organisé un « Ménopause Café », un format de tables rondes avec des spécialistes qui existe déjà en Australie, en Angleterre et en Belgique. Informer est une priorité qui pourrait être généralisée lors d’une consultation obligatoire à l’âge de 50 ans. « J’ai beaucoup milité pour la consultation de la cinquantaine. Il faut projeter ce qui va se passer en fonction de l’histoire personnelle, familiale, de la manière dont les femmes abordent cette période … Tout cela est un gros travail. Mais c’est ce qu’il faudrait obtenir ».

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