Hélène Égu : « L’égalité femmes-hommes est un nouveau critère à intégrer aux politiques publiques, au même titre que l’économie, le social ou l’environnement »

Hélène Egu
Hélène Egu

À l’approche des élections départementales et régionales fin juin, J’ai piscine avec Simone s’est entretenu avec Hélène Égu, fondatrice du bureau d’études Équation territoriale, pour mieux comprendre comment les politiques publiques peuvent intégrer davantage l’égalité femmes-hommes aux prises de décision. 

Intégrer l’égalité femmes-hommes dans les politiques publiques est une évidence pour Hélène Égu. À 48 ans, cette Concarnoise vient de lancer son bureau d’études, Équation territoriale, qui cherche à conseiller les collectivités territoriales pour y faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes. Titulaire d’un doctorat, puis chercheuse et enseignante dans l’enseignement supérieur, elle a ensuite rejoint la fonction publique territoriale avant de se former en études sur le genre, l’alertant sur la nécessité d’assister élu·es et agent·es territoriaux à ouvrir les yeux sur les enjeux de l’égalité. Un mois avant les élections départementales et régionales des 20 et 27 juin, elle a décrit à J’ai piscine avec Simone les freins observés et les leviers qui peuvent être actionnés.

Quels freins observez-vous au sein des politiques publiques pour faire avancer l’égalité femmes-hommes ? 


Il y a deux gros types de freins. Ceux qu’on retrouve globalement dans la société. C’est-à-dire de s’entendre déjà sur une définition de l’égalité. Il y a toutes ces phrases qu’on entend : « Est-ce que c’est la prise en compte des différences entre femmes et hommes ? », « Est-ce qu’il faut juste faire plus attention aux femmes ? », « Oui, mais l’égalité, c’est aussi pour les hommes », « L’égalité est déjà là, il y a déjà plein de choses, ça avance tout seul »… C’est aussi une question qui relève de l’intime. Femmes et hommes, on est tous en relation d’une façon ou d’une autre. Donc on a forcément un avis sur la question, qui est le plus souvent intuitif et personnel que documenté. 

Dans les collectivités, il y a aussi un autre type de freins. La fonction publique est normalement censée proposer un statut qui protège des inégalités, alors ça invisibilise certaines questions. Tout le monde a l’impression de travailler au service de toutes et tous, alors que certains équipements vont davantage servir aux hommes ou aux garçons par exemple. Ce n’est pas une volonté de nuire ou de discriminer. Mais par manque de questionnement, on reste dans une espèce de moule d’unité républicaine. 

Comment est-il possible d’avancer ? 

Déjà, la société évolue en elle-même. On en parle de plus en plus. Il y a une sorte de sensibilisation qui se fait. Une grande partie de la population trouve que l’égalité est un sujet sur lequel il faut travailler. Beaucoup de politiques en place vont donc chercher à répondre à cette mobilisation de la société civile. En tant qu’élu·e, ça pose question et on se dit qu’il faut y répondre. Mais il va falloir dépasser sa vision personnelle et intuitive. Et là, la formation est indispensable.


La législation évolue-t-elle aussi pour forcer les politiques publiques à intégrer ces questions d’égalité ? 

Oui. Le cadre légal national se renforce. Ces questions ont longtemps concerné uniquement le secteur privé, mais depuis 10 ans, des choses se mettent aussi en place pour les collectivités territoriales. Ça les oblige à se poser des questions. Pas forcément à agir, par contre. La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes leur réclame de mettre en place une « approche intégrée » de l’égalité, pour penser en amont leurs actions et à les évaluer par le prisme de l’égalité femmes-hommes.

Cette loi impose aussi aux collectivités de plus de 20 000 habitants de rédiger un rapport sur la situation de l’égalité femmes-hommes sur leur territoire avant la présentation du budget. Mais il y a des collectivités qui ne le font toujours pas et elles n’ont aucune sanction. Pour beaucoup d’entre elles, c’est juste une contrainte, de la paperasse supplémentaire. Le rapport est vite fait et en général, l’égalité n’est abordée que sur le plan professionnel. Dans les régions et les départements, c’est un peu plus avancé. Et paradoxalement, c’est pour les collectivités déjà sensibilisées que ça marche le mieux : elles se dotent ainsi d’un vrai cadre pour agir. 

Certaines villes, comme Rennes ou Lyon s’essayent aussi à un budget genré. Est-ce une bonne méthode pour lutter contre les inégalités ? En quoi cela consiste ? 

C’est la façon la plus aboutie de mettre en place l’égalité femmes-hommes. Il s’agit de regarder à la loupe toutes les dépenses, voire même toutes les recettes d’un budget. On passe tout au crible de ce sujet. Ça permet de se poser les questions en amont. De se demander quel sera l’impact sur l’égalité femmes-hommes des actions qu’on envisage d’entreprendre. C’est un nouveau critère d’analyse, au même titre que l’économie, le social ou l’environnement. Au final, ça permet de rendre des comptes à la population. 


Le département du Finistère s’est par exemple rendu compte que les bourses aux jeunes créateurs d’entreprise qu’il octroyait revenaient à 80 % à des hommes. En constatant ce déséquilibre, il est possible de réfléchir en amont à plusieurs moyens d’action : en créant une aide destinée uniquement aux femmes, ou en adoptant une approche intégrée, en regardant les critères d’éligibilité. Les bénéficiaires devaient avoir 30 ans ou moins, or c’est assez souvent l’âge du premier enfant chez les femmes, donc pas l’âge où elles créent une entreprise. Regarder le statut juridique demandé peut aussi être intéressant, car on sait que les femmes créent beaucoup plus de microentreprises. Ces changements ont fait passer la part de femmes à 67 %, c’était presque déséquilibré dans l’autre sens.

Qu’est-ce que les régions pourraient mettre en place pour lutter davantage contre les inégalités femmes-hommes ?

Les régions peuvent agir sur plusieurs domaines. Les aides économiques sont vraiment une compétence régionale. Elles peuvent mettre en place « l’éga-conditionnalité », c’est-à-dire donner des subventions en mettant un critère d’égalité femmes-hommes, comme il y a un critère d’éco-conditionnalité (environnemental). Les régions sont aussi actrices dans le domaine de la formation professionnelle. Or, il y a beaucoup de filières avec très peu de mixité, comme dans le bâtiment ou les services à la personne.

La formation des personnes les plus éloignées de l’emploi est souvent très stéréotypée. Les femmes sont redirigées trop systématiquement vers des formations de remobilisation et non vers des formations diplômantes, ou bien vers des secteurs peu rémunérateurs comme les services à la personne. Les régions sont également en charge des lycées. Il y a quelque chose à faire au niveau des équipements sportifs, qui sont très peu mixtes. Elles sont aussi responsables des grands schémas d’aménagement, dont les procédures de concertations intègrent très peu de femmes, alors que leur regard pourrait être valorisé. 

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