COMMENT JE SUIS DEVENUE FÉMINISTE À 50 ANS

comment je suis deveue féministe à 50 ans

Jusqu’au début de leur cinquantaine, elles ne pensaient pas que le féminisme étaient pour elles. Elles considéraient que l’égalité des droits étaient déjà là ou que c’était un sujet réservé à des militantes. Puis, il y a eu un basculement. Témoignages.

Pour deux d’entre elles, c’est une bande dessinée sur la charge mentale qui leur a ouvert les yeux sur le féminisme. Pour d’autres, c’est un licenciement qu’elles considèrent injustifié. Pour certaines d’entre elles encore, ce sont des lectures, des podcasts, des webinaires qui ont contribué à cet éveil.

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, cinq femmes témoignent de leur épiphanie féministe survenue autour de leurs 50 ans. Elles racontent le regard dans le rétro qu’elles ont effectué, chaussées de ces nouvelles lunettes. Elles assument désormais d’être féministes, de ne plus vouloir faire passer les hommes avant elles, ou de casser l’ambiance en soirée…

Cécile, 49 ans, consultante en transformation digitale et RSE, banlieue parisienne

« Pendant des années, le féminisme n’a pas été un sujet pour moi. J’ai été éduquée comme mon frère. J’ai fait des études. J’ai trouvé du travail. Le féminisme, je considérais que c’était un truc des années 1970, à l’exception de quelques personnes engagées qui en parlaient à la télé. J’avais le sentiment que c’était réservé à une minorité de femmes. D’ailleurs autour de moi, celles qui m’entouraient n’en parlaient pas. Dans les magazines féminins on ne nous parlait pas de ça non plus, on nous apprenait plutôt à nous organiser…

Mais depuis environ cinq ans, j’ai pris conscience qu’en fait, tout n’avait pas été si facile pour moi ; qu’il y avait des sujets que je n’avais pas voulu voir. La BD d’Emma sur la charge mentale m’a fait prendre énormément de recul. Aussi celle où elle explique que les hommes font exprès de mal faire les choses afin qu’on les fasse à leur place. Elle a intellectualisé des choses qu’on vivait toutes comme si c’était normal. Cela m’a fait reconsidérer ma situation de mère célibataire. J’ai eu deux enfants avec deux hommes différents. Quand le premier est parti, il ne s’est jamais occupé de sa fille et je considérais que c’était une chance, alors que c’est faux.

Dans le boulot, je me suis lancée à mon compte aussi en grande partie pour échapper à certains comportements sexistes. Je n’ai plus envie de collaborer avec des gens comme ça, comme je l’ai fait pendant trente ans. Et pourtant, parfois je suis encore obligée de mettre un mouchoir sur mes convictions ou bien je n’arrive pas assez à la défendre. Rien que la semaine dernière, j’ai été infantilisée par un client et j’ai limité ma rebellion par peur d’être trop radicale.

Pour beaucoup, y compris avec mes amies qui sont pourtant loin d’être fermées intellectuellement, on me colle cette étiquette de suffragette, de celle qui va casser l’ambiance dans les dîners. On me répond que les femmes ont désormais le choix et qu’il faut qu’on arrête de se victimiser. Mais ce n’est pas cela que je fais, je constate juste qu’il y a des choses qui ne vont pas, sur lesquelles il faut avancer. Alors j’en parle beaucoup à mes filles de 21 ans et 15 ans, j’essaye de les sensibiliser au fait qu’il y a des choses qu’il ne faut pas accepter. »

Élianne, 56 ans, directrice des ressources humaines, région Grand Est

« Je suis directrice des ressources humaines dans un grand groupe et j’ai toujours eu à cœur de traiter des questions d’égalité entre les femmes et les hommes. Pourtant, jusqu’à très récemment, je ne m’étais jamais affirmée comme féministe.

C’était sans doute de la naïveté. J’avais le sentiment qu’au niveau de mon parcours, entre mes études et mon travail, je n’avais pas eu à affronter de difficultés ou de discriminations particulières liées à mon genre. J’avais le sentiment que les choses avançaient concrètement. Mais c’est aussi parce que je pensais à l’époque qu’être féministe, cela signifiait que les femmes devaient être supérieures aux hommes et pour moi cela n’allait donc pas dans le sens de l’égalité.

Un déboire professionnel m’a fait requestionner tout cela. Vers 50 ans, j’ai été attaquée violemment sur le plan professionnel, avec une autre collègue de mon âge, et nous avons été licenciées. Nous nous sommes battues pour obtenir gain de cause et on a découvert qu’il y avait un complot masculin à notre égard, afin de placer à nos postes certains de leurs amis ou de leurs relations. Ils avaient instrumentalisé des femmes qui étaient nos collaboratrices pour obtenir des témoignages. C’était une vraie chasse aux sorcières ! Cela m’a fait prendre conscience que ce qui nous arrivait n’était pas seulement lié au fait que nous étions des directrices en pleine maturité professionnelle et jalousées, mais que cela avait été mené aussi parce que nous étions des femmes.

Mes antennes se sont alors déployées. J’ai découvert des réseaux féminins et féministes qui m’ont accueillie à bras ouvert pendant cette période de reconstruction. Cela m’a aussi amenée à m’impliquer sur le sujet. En lien avec mon travail, j’interviens dans une association afin d’aider des femmes de plus de 45 ans à retrouver du travail. Je suis aussi bénévole dans une autre qui lutte contre les violences faites aux femmes en milieu rural. Et je siège dans une fédération d’employeurs dans la commission à l’égalité. Tout cela me permet de concrétiser mon engagement féministe dans mes activités tant personnelles que professionnelles. »

Muriel, 55 ans, assistante commerciale, banlieue lyonnaise

« Quand j’ai lu la BD sur la charge mentale d’Emma, je me suis dit : « mais c’est moi en fait, c’est nous, c’est ce que vivent les femmes ! » C’était fou, on n’en avait jamais entendu parler. C’était tellement normal de faire tout ça pour nous. Ça a été un déclic. Parce que jusqu’ici, le fait de travailler et de pouvoir ramener des sous à la maison me donnait l’impression que c’était déjà ça le féminisme.

Tout ça m’a amenée à avoir une relecture de ma vie et notamment de mon divorce. Je me suis rendue compte que j’avais assumé toutes ces charges à la maison et auprès des enfants sans avoir une aide de mon mari. En plus de mon travail. En fait je n’existais pas, je n’ai pas pris de temps pour moi. J’ai appris et compris plein de choses. Qu’on pouvait s’habiller comme on voulait sans qu’on s’entende dire qu’on est des salopes ou qu’on va attirer l’œil des garçons, comme me disait ma mère. Qu’il était possible de dire « non », que le consentement ça comptait y compris dans le couple.

Je conçois différemment le couple d’ailleurs. Je ne veux pas retomber dans certains travers. Je ne veux pas rencontrer un homme qui souhaite juste ne pas rester seul et avoir une deuxième maman à domicile.

J’ai une fille de 17 ans et on parle de ces sujets. Aussi avec les vendeuses qui travaillent avec moi et sont toutes plus jeunes. On n’est que des femmes, avec deux patrons. Quand ils se réunissent avec plusieurs enseignes, il n’y a que des hommes qui arrivent tous avec leur grosse voiture, à l’exception d’une femme. C’est très patriarcal et ça me pose des questions sur le rapport entre patrons et femmes employées.

Aujourd’hui, le terme féministe ne me fait plus peur. Au contraire, cela m’a interpellée de me souvenir que je me sentais féministe à une époque alors que je ne l’étais pas du tout. Et peut-être que je suis aussi devenue plus revendicative ! »

Sophie, 59 ans, responsable de communication digitale, Boulogne

« Jusqu’à il y a peu, j’étais très éloignée des réflexions féministes. J’ai toujours revendiqué une forme d’indépendance : j’ai gardé mon nom de jeune fille lorsque je me suis mariée, je n’ai jamais eu de compte commun, j’ai tenu à gérer ma vie moi-même. Mais je ne mettais pas d’étiquettes sur mes façons d’agir. C’était une forme de revendication silencieuse.

Puis j’ai assisté à un webinaire sur le sujet de la ménopause et, à travers les témoignages d’autres femmes entre 50 et 60 ans, je me suis reconnue. J’ai aussi une grande fille de 24 ans, féministe, avec laquelle on échange énormément sur ces sujets. Cela m’a permis de réfléchir à des choses que j’ai vécues et de penser à la direction vers laquelle je souhaitais aller.

J’ai aussi connu deux séparations qui ont contribué à ce déclic. À 40 ans, on m’a offert un divorce que je n’avais pas vu venir. J’étais alors très impliquée dans mon couple et dans les relations amicales autour du couple. Je vivais à l’étranger, je m’y suis retrouvée seule avec ma fille et j’ai bénéficié d’une sphère féminine de soutien incroyable à ce moment-là. J’ai découvert la sororité. Cela m’a fait prendre conscience de l’importance de cultiver mes amitiés féminines. J’ai maintenant un noyau dur d’amies autour de moi. À 50 ans, je me suis aussi séparée du nouveau compagnon que j’avais, parce que je voulais reprendre ma vie en main et ne pas retomber dans certains clichés du couple. Je n’ai plus envie d’être définie par une relation de couple comme auparavant.

Aujourd’hui, cela me gêne moins de me dire féministe. J’ai évolué en maturité sur le sujet, j’ai compris des choses et j’ai envie de m’opposer à une société que je trouve encore très rétrograde. »

Véronique, 57 ans, journaliste et autrice spécialisée dans le cinéma, Paris

« Mon éveil au féminisme s’est fait en deux temps. Quand j’étais jeune, ma mère et mes tantes se sentaient très concernées par les débats féministes dans les années 1970, sans pour autant être militantes. On parlait beaucoup du féminisme à la maison à cette époque-là, avec d’autres sujets politiques. Je me souviens avoir lu La Cause des femmes de Gisèle Halimi vers 14 ans. Lorsque j’ai passé mon bac en 1983, c’était la première fois qu’il y avait autant de filles que de garçons à passer le diplôme. Cela voulait dire que tout nous était ouvert d’une certaine façon. Dans les années 1980, le féminisme est un sujet qui a été abandonné.

Puis je me suis mariée, j’ai eu des enfants. La maternité change tout. Il y a une redistribution des rôles à l’intérieur du couple. Je me suis retrouvée à avoir un rôle assez traditionnel chez moi, alors que je n’avais jamais souhaité ça. On privilégie beaucoup la carrière du mari aussi. J’ai pris un congé parental. On pensait que c’était un avantage social, alors que c’est un piège. Tout s’est bloqué à partir de là. Au milieu des années 2000, j’ai réalisé que les filles qui avaient réussi sur ce plan étaient celles qui avaient pris très peu de congés maternité et qui avaient travaillé comme des dingues, même en étant enceintes. Les promotions étaient tout de même données à des hommes moins compétents qu’elles, moins compétents que nous.

Puis à 45 ans, j’ai été licenciée. Dans ma lettre, on me disait que c’était parce que j’étais trop compétente, c’est fou. C’est à ce moment-là que je me suis intéressée à nouveau à la place des femmes. Je me suis rendue compte que je faisais vraiment partie de la génération « plafond de verre ». Qu’on nous avait promis grâce aux études et au travail qu’on pourrait s’émanciper autant que les hommes, alors que c’est faux. Ma façon d’être féministe a consisté à me dire « puisqu’on ne me donne plus de place, je vais la prendre moi-même ». Comme j’étais spécialiste du cinéma, je me suis intéressée à la place des femmes dans ce domaine. Depuis, je valorise le travail des femmes dans cet univers, à travers un média que j’ai créé et un prix.

Mais c’est aussi beaucoup de précarité à gérer. À un moment, découragée, je me suis demandée à quoi cela servait. Ma fille m’a dit « t’as pas le droit de tout plaquer, c’est intéressant ce que tu fais. Si tu ne le fais pour toi, fais-le pour moi ». Ça m’a beaucoup touchée. Cette génération a beaucoup plus conscience de ce sujet que nous. Quand je suis découragée, je pense à ça. »

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