CLAUDINE CORDANI : DU VIOL À LA RÉSILIENCE, UN PARCOURS DE VIE HORS NORME

Claudine Cordani
Extrait couverture « La justice dans la peau, les arbresses » Claudine Cordani © Taha Gueffaf

Claudine Cordani est la première mineure à avoir refusé le huis clos à ses violeurs. Agée de 17 ans à l’époque des faits, elle décide très vite que « ce n’est pas à elle d’avoir honte ». Cette détermination hors norme porte depuis son combat féministe. L’ex journaliste met en oeuvre une résilience qui s’incarne dans de nombreux projets personnels et collaboratifs. Alors que le contexte actuel tend à pointer la colère des féministes comme une hystérie, l’autrice de « la justice dans la peau, les arbresses » livre un plaidoyer implacable sur la réparation que la justice doit à chaque victime de viol.

Pourquoi avoir refusé le huis clos qui a priori est instauré pour protéger les victimes ?

Je comprends que cela a été instauré pour les mineurs afin de les préserver. Mais qui ça préserve exactement ? Gisèle Halimi voulait qu’on refuse les huis clos car rien ne peut être plus dur pour une victime que le viol qu’elle a subi, alors la protéger de quoi ? J’avais 17 ans quand j’ai été violée, je n’avais pas 5 ans. C’est une décision parentale vis-à-vis des victimes mineures qui peut prendre un autre sens selon l’âge. On protège aussi la société de savoir tout un tas de choses et je ne parle pas des détails glauques, mais avec le huis clos la parole ne se diffuse pas. Cette société organisée par le patriarcat et pour le patriarcat se protège bien pour que beaucoup d’infos ne fuitent pas, c’est une organisation très solide, très ancrée.

Vous n’avez eu aucune hésitation à porter plainte ?

Les choses ont été très claires, très vite. Je n’ai jamais ressenti de culpabilité vis-à-vis de ce viol, jamais je ne me suis dit c’est de ma faute. Je me suis retrouvée face à une injustice dont je suis victime car aucune personne n’a le droit d’intervenir dans la vie de quelqu’un d’autre. Le viol est un crime et il fallait que la justice s’en occupe, que les violeurs aillent en prison et qu’ils ne recommencent pas. C’était mon objectif principal. J’ai pris cette décision car j’avais cette conviction profonde.

Obtenir une condamnation publique et la garantie que pendant quelques années ces personnes ne nuiront plus, ça fait partie de la résilience. C’est pour ça qu’il est très douloureux d’entendre que les victimes sont refoulées dans les commissariats, qu’elles sont tournées en dérision, humiliées par certaines questions.

Quel accueil avez vous reçu lors de votre dépôt de plainte ?

La police est venue à moi. Des voisins de l’endroit où j’ai été séquestrée ont prévenu la police, mais je voulais porter plainte. Dans mon histoire, c’est un flagrant délit, donc une circonstance aggravante. J’ai été à l’hôpital dans un service spécifique. L’étude de sperme a été faite tout de suite, ils en ont trouvé 3 différents, j’étais brûlée sur tout le visage, je suis arrivée dans un état lamentable. Personne n’a remis en cause ma version des faits, j’ai été très bien accueillie, mais je trouve dommage qu’il faille en arriver à une situation où visiblement vous avez vécu l’enfer pour qu’on ne remette pas en doute votre parole.

Aujourd’hui beaucoup de femmes victimes de violences ne portent pas plainte en raison d’un accueil désastreux dans les commissariats

Il ne faut pas faire n’importe quoi lorsqu’on a en face de soi des personnes qui reviennent de l’enfer. Il y a des victimes qui souffrent tellement d’avoir été mal reçues et ne pas avoir été crues qu’elles font des tentatives de suicide. Plus la société aura connaissance de ces faits, plus elle sera obligée de sortir du déni.

Les combats de Gisèle Halimi qui vient de disparaitre ont une résonnance particulière pour vous ?

Avec les procès de Bobigny et d’Aix en Provence , Gisèle Halimi a refusé le huis clos, a demandé que le viol soit qualifié de crime. Cette femme a fait des choses immenses et dans son sillage les féministes continuent à faire ce qu’elles peuvent. Toutes les avancées qu’elle a permises ont 50 ans dans le droit français. Mais les médias ne se sont pas assez emparés du problème, ils ont participé à ce déni. Il faut que le travail de femmes comme Gisèle Halimi soit accompagné par la société, car sinon qui veut voir l’horreur ? Personne. C’est incroyable qu’en 2020 il faille remettre ça sur le tapis. Je suis très triste qu’elle ait disparu, mais j’espère que sa disparition générera un débat sur son combat.

En 1993 j’étais conviée sur le plateau de « La marche du siècle » pour participer à une émission sur le viol et Gisèle Halimi était présente. Jean Pierre Getti, le juge qui a instruit mon dossier m’y avait conviée. J’ai refusé parce que je ne me sentais pas prête, mais quand j’ai appris qu’elle refusait le huis clos, cette décision a pris un autre sens pour moi et j’ai le regret de ne pas l’avoir rencontrée.

Parmi les personnes qui vous ont « sauvé » vous citez le juge Jean Pierre Getti qui a écrit la post face de votre livre. Quel rôle a–il joué dans votre reconstruction ?

A l’époque je n’ai pas eu conscience de la chance que j’avais eu de tomber sur ce juge. Je le trouvais très à l’écoute, il faisait très bien son boulot. Après je suis devenue journaliste et j’ai suivi sa carrière. C’est un très grand homme dans l’histoire de la justice. Des féministes m’ont dit « quelle chance tu as eu de tomber sur lui » ! Cet homme a contribué à me sauver la vie. Je sais de quelle façon il m’a aidé à avoir confiance en la justice. Je ne sais pas si je pourrais parler de cette façon s »il n’y avait pas eu le juge mais aussi mon avocat.

Pourtant la première avocate qui vous défend vous abandonne quelques mois avant le début du procès ?

Mon avocate m’a lâchée trois mois avant le procès, elle n’a pas eu le courage de me dire pourquoi. Je l’ai appris par l’avocat nommé à sa place. Elle était dans l’avion en partance pour les Bahamas ou les Seychelles, je ne sais plus quand elle l’a contacté. Je n’ai jamais eu de nouvelles de cette femme. Elle avait été commis d’office. Etre femme ne veut pas dire être féministe. Une femme peut se comporter de la pire des façons. Heureusement que l’avocat dont c’était la première affaire aux assises a assuré. J’ai été aidée par deux hommes au moment où j’en ai eu le plus besoin dans ma vie.

Dans cette quête de justice vous n’avez pas souhaité impliquer vos parents, ni même leur parler de votre viol alors que vous refusiez le huis clos, pourquoi ?

Je n’ai jamais eu envie de me confier à mes parents italiens, ma mère était analphabète, mon père ouvrier. Je savais que je n’allais pas pouvoir obtenir d’aide de leur part car ils n’auraient pas pu me fournir les contacts nécessaires, j’étais plus à même de le faire moi même à Paris. Il y a des gros tabous dans les familles italiennes avec le poids supplémentaire de la culture chrétienne. A l’époque, je sais instinctivement où je peux trouver de l’aide, je me tourne vers le juge quand j’avais une question importante. Mon père ne l’a jamais su, je l’ai dit à ma mère des années plus tard. Je ne suis pas sûre que la famille proche soit apte à nous accompagner. Il y a des personnes formées à écouter, c’est très particulier d’avoir vécu ça. Tout le monde n’est pas préparé à entendre ce récit. Mes parents auraient été démunis. Ils travaillaient tout le temps pour élever leur 4 enfants.

Justement c’est dans cette fratrie que vous trouvez la solution pour vous passer du consentement de vos parents pour réfuter le huis clos ?

C’est mon frère ainé qui est venu signer à la place de mes parents pour que je puisse refuser le huis clos sans qu’ils soient au courant. On m’a beaucoup dit : « vous refusez le huis clos mais vous ne voulez pas que vos parents soient au courant ». Ce qui parait paradoxal mais on peut vouloir les deux. Je leur ai dit voilà ce qu’il m’est arrivé et je leur ai demandé de ne pas venir au procès. 

Comment réagissez-vous au contexte actuel particulier violent pour les femmes ?

Je suis féministe et très active depuis trois ans depuis que je ne suis plus journaliste. J’ai vu récemment comment la justice traitait les affaires de viol, de quelle façon la justice était affaiblie et c’est pour cette raison que j’ai interviewé le juge Getti ( NDLR : l’interview clôt le livre) particulièrement sur les cours criminelles (sans jurés) actuellement testées pour remplacer les cours d’assises au prétexte de réduire les délais de jugement. A l’époque c’était dur d’en parler, mais là on revient en arrière. J’observe la justice dévêtue au fil du temps et je me demande ce qui va rester aux victimes.

Vous demandez tous les jours la démission de Gérald Darmanin sur Twitter, de quelle manière cette nomination vous affecte ?

C’est un crachat au visage ! Je ne comprends pas pourquoi Emmanuel Macron l’a nommé comme si c’était le dernier homme sur terre. La justice a décidé de rouvrir le dossier, car ce n’est pas parce qu’on a obtenu des non lieux qu’on a rien fait. Ca veut dire seulement dire qu’il n’y a eu suffisamment de preuves pour aller plus loin. C’est vraiment la honte ! Le message c’est : on a rien fait pour vous mais on vous emmerde ! Un pays qui se dit riche, moderne … Avec Darmanin on a eu un très mauvais signe. Je ne comprends pas qu’on puisse être aussi mauvais stratège politique. A  moins de vouloir la guerre avec les féministes et dire après « Oh la la comme elles sont énervées ! ».

De quelle manière construisez-vous votre résilience aujourd’hui ?

Mon parcours de résilience a commencé avec la lecture, l’écriture et l’art. Les mots m’ont sauvé la vie. Je suis allée puiser dans tous les registres, j’ai voyagé au travers des livres car je ne pouvais pas encore le faire, je me suis reconstruite grâce à l’espoir des mots. Je me disais la vie vaut d’être vécue, cela m’a donné une force. Quand je suis sortie de la chambre typographique parisienne, j’ai démarré comme maquettiste et très vite j’ai eu une fibre artistique. J’ai fait des collages graphiques. La résilience se travaille, j’ai toujours des projets artistiques. Je fais du théâtre et de l’impro depuis deux ans. Je souhaite à toute victime de trouver les moyens de se rappeler qui elles sont dans ce monde. Ce n’est pas parce qu’on est victime qu’on est totalement résilient, on a failli mourir, on est en vie mais ca ne suffit pas pour une résilience réussie.

Comment va se traduire votre activisme dans les prochains mois ?

Je lance mon association éco féministe de soutien aux victimes de viols en septembre. Et le 1er évènement sera une manifestation de soutien aux victimes corses qui ont lancé #Iwascorsica. Ensuite mon premier roman répondra aux célèbres « Claudine » de Colette. J’écris la série des « Colette » qui raconte les tribulations d’une femme du 21 ème siècle. J’espère aussi monter des ateliers d’art résilient mais ce dont je me réjouis particulièrement est d’être engagée dans une fiction pour jouer un rôle de journaliste. J’ai perdu mon boulot, je n’ai pas le bac mais j’ai enseigné au CELSA, j’ai été journaliste pendant 30 ans et aujourd’hui je suis au RSA. Mais il se passe des choses incroyables en ce moment pour moi.

Le livre est disponible sur bookelis.com – Promo au mois d’août sur la version e-book : 4,99 € 

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